L’errance médicale se définit par une absence de diagnostic posé par un médecin envers une personne qui présente des symptômes divers. Cette période, de durée indéterminable, entraine souffrances et précarités dans tous les aspects du quotidien de la personne malade, puisque la prise en charge médicale, sociale et financière en l’absence de diagnostic officiel est extrêmement compliquée voir impossible.
L’errance médicale est d’autant plus courante dans le cas d’un handicap / d’une maladie invisibilisée car, même si les symptômes, la souffrance du patient sont pourtant bien visibles au quotidien, l’état physique et général de la personne concernée est souvent minimisé et incompris d’un point de vue extérieur.
Merci à Alicia qui a accepté de se livrer sur ce douloureux et long parcours pour faire reconnaître ses symptômes et avoir enfin un vrai parcours de soin au quotidien.
[TW/Avertissement : situations de précarité, errance médicale, isolement]
« Je m’appelle Alicia, j’ai 27 ans, et je suis atteinte de plusieurs pathologies chroniques.
Plusieurs de ses pathologies sont invisibles, ce qui signifie que les personnes qui m’entourent et qui ne me connaissent pas n’ont pas forcément connaissance que je suis porteuse d’un handicap. Mon état s’est fortement dégradé ces derniers mois et il est certain que la partie invisible de la maladie et du handicap ne l’est désormais plus trop, puisqu’un fauteuil roulant et de l’oxygène, ça ne passe pas inaperçu. Néanmoins, personne n’est capable de voir mon cerveau enflammé à l’œil nu, l’état de mes muscles ou la capacité pour mes mitochondries à (ne pas) produire d’énergie pour juger de la sévérité de mon état.
Tout a commencé en mars 2020, quand j’ai attrapé un mauvais virus qui m’a fait basculer dans la
maladie chronique de manière définitive. De là sont apparus de nombreuses pathologies et
handicaps (ainsi que l’aggravation de certaines pathologies que j’avais déjà) qui font qu’à l’heure
actuelle, je suis totalement alitée et dépendante de ma mère et de mes infirmières à 100%, dans
une pièce sombre et silencieuse, privée de mes sens et de ce qui me rendait autrefois humaine et
moi-même.Si je devais voir la maladie au travers du spectre de la précarité, je dirais que cette précarité
m’impacte premièrement au niveau social car la maladie m’isole. Je suis privée de toute
interaction sociale qui me demande trop d’énergie et qui dégrade mon état de santé de manière
irréversible. Les seules personnes que je vois tous les jours sont soit ma mère dans son rôle
d’aidante ou mes infirmières qui doivent faire des soins tous les jours.Mais il y a également un aspect de précarité financière dans la maladie chronique. J’ai de la
chance d’être reconnue par la sécurité sociale au travers de plusieurs ALD, et j’en suis
extrêmement reconnaissante, ce qui me permet la prise en charge d’énormément d’examens, de
soins ou encore de rendez-vous. Mais pas de la totalité de ce qui englobe mes maladies
chroniques.
Mais la France n’est pas encore tout à fait à jour au niveau de leurs connaissances sur certaines
pathologies ou autres handicaps qui sont récents : j’ai récemment dû consulter un médecin
anglais en visio pour une pathologie qui n’est pas connue en France. Ce médecin n’était donc pas
pris en charge par la sécurité sociale française, et, étant dans le domaine privé, les frais du
rendez-vous par lui-même ainsi que les rendez-vous de suivi, traitements et bilans sanguins
s’élèvent à plusieurs milliers d’euros.
Le traitement qui pourrait me rendre mieux ne peut se faire que dans des conditions très
spécifiques en France, sinon c’est dans un autre pays européen. Tout serait de ma poche et les
frais s’élèveraient alors à plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Malgré toute la fierté que j’ai, j’ai dû malheureusement lancer une cagnotte pour m’aider à payer
mon suivi – et non pas le traitement qui serait impossible à financer (et la question ne se pose
même pas car de toute façon, je ne pourrai pas voyager aussi loin dans mon état de santé. C’est
la mort assurée).Ce point rejoint également la précarité médicale puisque même si nous sommes dans un pays
assez développé et, il faut le dire, une des plus grande puissance mondiale, il y a encore trop
d’inégalités face à l’accès aux soins pour les Français. Certaines pathologies sont encore trop
marginalisées. Certains traitements ne nous sont pas encore proposés, certains examens non
plus… Et je pense que le point le plus important à soulever est cette errance médicale, qui peut
pousser les gens à dépenser des sous qu’ils n’ont pas forcément et à partir dans des pays
étrangers pour se faire soigner.
Mais c’est également la maltraitance médicale que nous vivons, la psychiatrisation de nos états et
nos symptômes pour nous faire rentrer dans des cases et ne plus s’occuper de nous. Je l’ai vécu
pendant trois ans et demi, et je suis enfin soulagée d’avoir une réponse à mes questions grâce à ce fameux médecin anglais qui a pris le temps de m’écouter.
Comme quoi, il faut apparemment payer un médecin pour être capable d’avoir des réponses concrètes sur son état de santé…Au quotidien, j’avoue que c’est quand même assez difficile. Certes, la majorité de mes traitements
et de mes rendez-vous est prise en charge, mais il y a quand même des médecins ou soins que je
suis obligée de payer, des compléments alimentaires qui ne sont pas pris en charge par la
sécurité sociale, etc…
Personne ne pense à l’impact financier de tout ce qui peut toucher à la maladie chronique, sans
forcément être du domaine médical. Par exemple, pour avoir une alimentation adaptée à mes
soucis de santé et alléger la charge lourde qui pèse sur ma mère, ma principale aidante, je passe
par le portage de repas de la Croix-Rouge. Tout cela a des frais qui ne sont pas anodins.Mais tout a été fait dans un souci de confort maximal pour mon état de santé. Je sais qu’il existe des
aides financières pour ce portage de repas, mais la maladie m’empêche de faire toutes les
démarches nécessaires. Si cette démarche nécessite plus de deux étapes, mon cerveau se
déconnecte et n’est plus capable de suivre. Mon état se dégrade automatiquement. Ensuite,
l’impact psychologique des maladies chroniques n’est également pas à oublier, ce qui entraîne
des frais de psychologue également. Tous ces frais annexes à la maladie chronique ont un impact
réel sur la situation financière du malade.La maladie m’a tellement enlevé d’autonomie que j’ai dû rendre mon appartement fin 2021 pour
retourner définitivement vivre avec ma mère. Ça a été la source principale d’économie de mes
ressources qui sont faibles. Mais ça n’a pas résolu tous les problèmes. Je vis actuellement avec
très peu, mais en fin d’année, je passerai normalement en invalidité, ce qui devrait me permettre
de toucher un peu plus et de pouvoir aider ma mère au maximum, du moins sur cet aspect
financier – sauf si la sécurité sociale décide que je suis trop jeune pour être déclarée invalide.
J’ai également plusieurs aides de la MDPH mais ça ne suffit pas toujours malheureusement. Je
sais que je suis « chanceuse » d’avoir accès à toutes ces aides, mais je me dis que
ces aides reflètent malheureusement ma réalité, celle d’un handicap lourd et sévère. Il n’y a rien
de chanceux là-dedans.
Je sais également que peu de monde a accès à ces aides et c’est un point que je ne cesserai de soulever : les différences de traitement et d’accord / de refus des
aides selon les différentes MDPH. Il n’y a rien de juste à évaluer une même situation différemment
entre deux départements.
L’accès à ces aides n’enlève en aucun cas la situation de précarité des personnes malades car,
comme répété plus haut, cette précarité n’est pas que financière avec la maladie chronique.
Et je pense que l’aspect invisible de 80% des maladies et handicap n’aide pas. Le fait que l’on
arrive pas à voir à quel point une personne souffre ou a besoin d’aide n’aide pas ce genre
d’institution ou organisme à donner ce qui nous est malheureusement dû. La majorité de mes
pathologies est invisible. C’est, je pense, l’une des choses qui complique le plus la prise en
charge d’une personne, surtout au début de son parcours. J’ai dû me battre pour faire entendre
mes symptômes invisibles, quantifier mes douleurs… Certains symptômes ne pouvaient être niés,
mais des médecins arrivent encore, à notre époque, à catégoriser une personne d’anxieuse, alors
qu’elle fait une crise d’épilepsie (pour ma part, non épileptique) devant vous et donner un
anxiolytique.Je sens que j’arrive sur la fin de mon errance médicale, mais je n’ai aucun médecin à remercier, si
ce n’est mon médecin traitant et mon interniste, pour l’avancée de mon parcours. Depuis trois
ans et demi, certains médecins ont psychiatrisé mon cas car peu ont été capables d’admettre,
soit qu’ils avaient tort, soit que mon cas dépassait leur domaine de compétence. À cause de mon
inflammation cérébrale chronique, je présente en effet des symptômes neurologiques mais
également psychiatriques. Ils n’ont pas chercher à comprendre plus loin que ça. J’ai les preuves
de tout ce que j’avance et de tout ce que j’ai, par A+B, mais pour certains, ça ne leur suffit pas.
J’ai dû être l’instigatrice de nombreux examens ou rencontres avec des spécialistes qui ont
amené à plus de réponses que tout ce qui a pu être mis en place depuis trois ans et demi.L’handicap invisible et la précarité touchent malheureusement la quasi majorité des malades
chroniques. C’est une réalité qu’il faut reconnaître et accepter, surtout parmi la société validiste actuelle. «
[Ressources] ***
– Maladie Rares Info Services
– Groupes de patients avec les mêmes douleurs similaires