Le sujet du suivi médical gynécologique des femmes en situation de handicap est si difficile à aborder tant il est teinté de négativité, de peurs, de colère liées à la non considération des patientes handicapées, aux violences gynécologiques, aux préjugés (« les femmes handicapées n’ont pas de sexualité « ) et aux lourdes difficultés rencontrées, telles que l’inaccessibilité des cabinets et dispositifs médicaux, qui sont trop souvent les causes d’une absence de suivi gynéco.
Au vu des statistiques alarmantes concernant cette non prise en charge médicale des femmes handicapées il est indispensable de parler de leurs difficultés et de trouver des solutions concrètes afin d’accompagner ces patientes de manière personnalisée et bienveillante dans leur suivi gynéco et de donner les moyens humains, techniques, financiers, professionnels au personnel de santé pour le faire correctement.
Andy in the City a souhaité donner la parole à deux femmes afin d’aborder cette thématique du point vue de patiente d’Elodie et du point de vue de professionnelle de santé de Sarah. Témoignages.
Bonjour, pour commencer peux tu te présenter et nous expliquer ton parcours personnel et professionnel ? Pourquoi la gynécologie ?
Bonjour, je m’appelle Sarah, j’ai 30 ans et je suis atteinte de plusieurs maladies chroniques : endométriose , fibromyalgie , adénomyose et vaginisme. J’ai commencé ma carrière dans les soins à l’âge de 15 ans puis diplômée 5 ans après, j’ai travaillé dans différents services puis j’ai décidé de me spécialiser en gynécologie afin de pouvoir éviter à d’autres personnes de passer par le même parcours difficile que j’ai pu vivre.
Tu es particulièrement attentive et sensibilisée à l’accompagnement de femmes handicapées dans leurs parcours gynécologiques, pourquoi ?
Étant passé par des années d’errance médicale , qui évidement ont conduit à des années de souffrance et de solitude face au corps médical, il me semble primordial de faire de mon maximum au quotidien pour sensibiliser autour de l’errance médicale, des douleurs et maladies chroniques ainsi que les répercussions des violences médicales.
Pour beaucoup d’entre elles c’est un vrai parcours du combattant, De ton point de vue de soignante quelles sont leurs difficultés, les obstacles à leur suivi ?
En tant que soignante je me rends compte évidement des dysfonctionnements tels que : des médecins mal formés, le manque de moyens (physique et financier), le manque de temps ainsi que de personnels spécialisés et qualifiés.
Comment travailles tu au quotidien avec les patientes en situation de handicap ? Qu’est ce qui est le plus important ?
Selon moi ce qui va être le plus important va être de prendre en charge la patiente dans son entièreté et non dans sa globalité.
Il est important de prendre en considération les besoins et les ressentis des patientes et de leur entourage, de comprendre leurs peurs, leurs angoisses, répondre le plus précisément à leurs incertitudes et questionnements et surtout de ne jamais les juger.
Quel sens souhaite-tu donner à ton travail ? Quels messages souhaite-tu véhiculer à travers ton métier ?
J’aimerais mettre plus en avant la nécessité d’un accompagnement de qualité et éduquer plus autour de la douleur chronique afin de prendre au sérieux le combat que cela représente au quotidien.
Quelles sont les solutions, que faudrait-il changer, mettre en place, faire évoluer pour améliorer, favoriser le suivi médical et gynécologiques des patientes en situation de handicap ? (elles sont plus facilement victimes de violences médicales notamment). Comment favoriser l’inclusion, la sensibilisation des soignants ?
Selon moi ce serait intéressant de pouvoir créer un programme d’accompagnement complet qui irait du diagnostic jusqu’au une prise en charge autonome de la patiente, en passant par le fait d’être suivie par une équipe qualifiée pluridisciplinaire, puis par des exercices adaptés expliqués aux patientes afin d’être plus indépendante dans son quotidien fasse aux difficultés de là maladie.
D’un point de vue personnel tu es atteinte d’endométriose, tu en parles sur ton compte Instagram Endo.Moon. Peux tu nous parler de cette maladie ? Comment cela impacte ton quotidien, quelles sont tes difficultés, ton suivi médical/gynéco ?
Effectivement je suis atteinte entre autre d’adénomyose et d’endométriose, j’ai déjà été opéré plusieurs fois et cela fait quelques années que j’apprends à vivre avec au quotidien .
Mes douleurs étaient assez cohérente avec mes cycles puis au fur et à mesure des années elles sont devenues omniprésentes et cohabite désormais avec mes douleurs de fibromyalgie .
Que ce soit la fatigue chronique , les douleurs , les crises , les saignements , les difficultés à marcher et j’en passe, on peut dire que les douleurs ne me laisse quasi jamais de répit.
J’ai mis en place un suivi pluridisciplinaire en ayant :
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- Une physiothérapeute avec qui j’ai 2 rendez vous de 45 minutes par semaine ce qui équivaut à de la kiné + ostéopathie
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- J’ai également suivi une sexothérapie pour ce qui concerne le vaginisme et mon rapport à la sexualité
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- Je suis prise en charge dans un centre anti douleur afin d’apprendre à vivre avec la douleur
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- J’ai un spécialiste endométriose, un rhumatologue pour ma fibromyalgie et un gynécologue pour mon suivi gynéco classique.
Quel est ton regard sur de la place des femmes en situation de handicap dans la société aujourd’hui et le milieu médical ? Quelles sont les choses à améliorer pour une prise de conscience collective au sujet du handicap ?
J’ai la sensation que la douleur d’une femme va être moins prise au sérieux que celle d’un homme , les professionnelles de santé mettent plus de temps à les croire car des idées bien ancrées sont présentes comme le fait de dire « c’est normal d’avoir mal quand on est une femme » alors que la souffrance n’a rien de normal .
Alors que l’idée de normalité construite par la société n’est que le résultat de stéréotypes normés, les injonctions par rapport au corps sont encore très présentes. Quel est ton propre rapport avec ton corps, ta féminité ?
Je dois avouer que j’ai eu des difficultés à être douce avec mon corps , j’ai souvent eu des mots durs envers lui. La sexothérapie m’a aider à me reconnecter à un corps qui avait été trop médicalisé pendant des années, c’est un travail de longue haleine mais j’essaye d’être plus douce envers moi même !
As-tu autre chose à aborder, des conseils à apporter aux femmes en situation de handicap ?
Je dirais de continuer à libérer la parole à ce sujet ! Ce n’est que en faisant de la prévention et de l’éducation que nous arriverons à faire connaître cette maladie autour de nous.
Je conseillerais aussi de se faire confiance et de s’écouter , on se connaît , on connaît les réactions de notre corps !
N’hésitez pas à aller jeter un œil à mon compte Instagram ou je donne des conseils afin de mieux vivre au quotidien avec les douleurs chroniques.
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Afin de rendre compte entièrement de l’impact quotidien des difficultés d’accès aux soins gynécologiques et de ce lourd parcours de combattante, il est indispensable d’avoir le retour d’expérience d’une patiente en situation de handicap : Elodie du blog Ma Vie, Mon Handicap, Mes Emmerdes.
« Concrètement, je n’ai pas eu de suivi durant plus de 10 ans car j’appréhendais beaucoup d’y aller et c’était trop compliqué, pour ne pas dire impossible, Je trouve que c’est une vraie galère : d’une part, de trouver un cabinet accessible en fauteuil roulant électrique, et d’autre part, de savoir comment les choses vont pouvoir s’organiser. Par exemple, comment s’installer sur la table d’examen quand elle est à 1m du sol et que tu ne peux pas te transférer seule ? Comment être bien installée durant l’examen, car tu as des besoins spécifiques et ne peux pas t’installer n’importe comment… La réalité, c’est ça, il peut y avoir une absence de suivi durant des années à cause de ce genre de difficultés.
J’ai repris un suivi gynéco cet été, un peu pas hasard, car j’ai échangé avec une assistante sociale qui m’aidait dans des démarches quelques mois auparavant et quand elle m’a demandé si j’avais un suivi médical régulier, elle a été choquée quand je lui ai dit que je ne voyais ni gynéco, ni dentiste, ni tout autre spécialiste depuis des années car très (trop) compliqué quand on est en fauteuil…
Elle m’a mise en contact avec une ergothérapeute en milieu hospitalier dont le rôle est d’accompagner des patientes comme moi dans leur suivi médical. Concrètement, cette ergothérapeute m’a demandé quels étaient mes besoins spécifiques, mes contraintes et mes appréhensions, de manière à pouvoir organiser les choses au mieux pour le jour de la consultation. Elle m’a demandé si je souhaitais qu’elle soit présente le jour J et j’ai dit oui, car j’ai beaucoup appréhendé ce rendez-vous gynéco et avais besoin d’être rassurée. J’ai également demandé à mon auxiliaire de vie de m’accompagner pour m’aider.
Le médecin avait été informé au préalable qu’elle allait recevoir une personne handicapée en fauteuil, j’ai trouvé ça bien. Parce que cela allait prendre plus de temps qu’une consultation ordinaire, que je n’allais pas pouvoir faire les choses comme les autres. La salle d’examen était équipée d’un lève malade avec un rail au plafond afin de pouvoir m’installer sur la table d’examen. Du coup, l’ergothérapeute et mon auxiliaire de vie m’ont aidée à m’installer, elles étaient très bien et m’ont écoutée. J’avais très peur de l’examen, et elles en ont toutes tenu compte. Franchement, j’étais pas à l’aise du tout (bon, je crois que beaucoup de femmes doivent être dans ce cas là…).
Je trouve extrêmement important que ce genre de prise en charge existe, parce que cela m’a permis de reprendre le chemin des soins, après des années d’absence de suivi. Par contre, je trouve extrêmement dommage que personne ne m’ait informée plus tôt que ce genre de chose existe. C’est nul, parce que cela permettrait à plein de personnes de bénéficier d’un suivi médical. Par exemple, mon médecin traitant m’a demandé de faire une consultation gynéco mais sans s’inquiéter de comment allaient bien pouvoir se passer les choses pour moi. Ne serait-ce que me recommander un suivi en milieu hospitalier plutôt qu’en libéral, ou m’orienter vers les professionnels formés et habitués à prendre en charge des patients avec des besoins spécifiques. »
Informations complémentaires : Source : Etude HandiGynéco, ARS, 2017 : Selon une étude réalisée en 2017, seules 58 % des femmes en situation de handicap ont accès à un suivi gynécologique régulier, contre 77 % dans la population générale.
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- Sur 1000 femmes en situation de handicap en Île-de-France (34 % avec un handicap moteur, et 21 % avec un handicap psychique) vivant en établissements médico-sociaux ou à domicile :
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- l’accès à la contraception est accessible pour 85 % d’entre elles (en majorité celles qui vivent en ville) ;
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- 85,7 % déclarent ne jamais avoir eu de mammographie, et 26 % ne jamais avoir eu de frottis.
Source : Etude HandiGynéco, ARS, 2017
- 85,7 % déclarent ne jamais avoir eu de mammographie, et 26 % ne jamais avoir eu de frottis.
Source : www.monparcourshandicap.gouv.fr : Le dispositif Handigynéco permet aux femmes en situation de handicap d’avoir accès à des soins gynécologiques et à un suivi de leur santé adaptés. Initiée en 2016 en Île-de-France, puis en Normandie et en Bretagne, l’expérimentation devrait se déployer dans toute la France d’ici 2026. Des sages-femmes libérales, volontaires et formées à appréhender les situations de handicap, interviennent dans les établissements médico-sociaux ou à domicile pour agir sur ces trois volets :
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- les soins : pour faciliter l’accès aux soins gynécologiques grâce à la mise en place de consultations individuelles adaptées, d’actions de prévention et de dépistage (sexualité et contraception, hygiène, dépistage des infections sexuellement transmissibles – IST, cancérologie).
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- la vie affective et sexuelle (VAS) : pour informer et accompagner les femmes en situation de handicap sur une meilleure connaissance de leur corps, l’hygiène, la sexualité, la contraception, la parentalité ou le désir de parentalité, etc. et former les professionnels des établissements médico-sociaux.
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- les violences faites aux femmes (VFF) : pour sensibiliser les personnes en situation de handicap et les professionnels sur le sujet des violences faites aux femmes.
Si vous habitez en Île-de-France, vous pouvez trouver un professionnel formé ou un lieu adapté en cliquant sur la cartographie prise en charge gynéco-obstétrique pour les femmes en situation de handicap.
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- Les centres ressources IntimAgir sont des lieux d’information et d’échange sur la vie intime, affective, sexuelle et de soutien à la parentalité des personnes en situation de handicap. Ils s’adressent directement aux personnes en situation de handicap mais aussi aux professionnels.
Vous pouvez contacter dans votre région un centre ressources IntimAgir pour poser des questions à des professionnels formés et obtenir des réponses sur :
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- votre vie amoureuse, intime et sexuelle avec des sujets comme :
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- l’amour, le désir,
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- le consentement,
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- la connaissance de votre corps, des émotions,
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- les questions d’orientation de genre et d’identité sexuelle, l’accès aux soins, à la contraception ;
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- votre vie amoureuse, intime et sexuelle avec des sujets comme :
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- la parentalité ou le désir de parentalité ;
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- les violences envers les femmes, les enfants, dans le couple.
Les centres ressources IntimAgir sont en cours de déploiement dans toutes les régions de France,
NDLR : Je tiens particulièrement à m’excuser auprès de Sarah et Elodie pour le délai de traitement et d’écriture de cet article, cette thématique ayant été particulièrement difficile à aborder d’un point de vue personnel.