Il est de ces histoires de vie qui nécessitent d’être écrites, pour se rendre compte du chemin traversé, pour laisser une trace et avancer vers un présent et un futur plus lumineux. C’est le cas de celle d’ Alexandra Guigand auteure de « Passer la vague » (aux Éditions Nouvelle Bibliothèque), un témoignage poignant de son drame personnel teinté d’urgence, de résilience, de vérité sans tabous, et d’émotions plurielles. Un premier ouvrage qui se lit sans s’arrêter et qui ne laisse pas indifférent. Entretien.
Bonjour Alexandra, est-ce que vous pouvez vous présenter ? Quel a été votre parcours ?
Bonjour, merci de me laisser la parole !
je m’appelle Alexandra Guigand, j’ai 47 ans. Je suis divorcée, maman de deux grands enfants, un garçon et une fille (le choix des rois dit-on !). Je vis sur la côte depuis presque 20 ans (ohhhh rien que de l’écrire c’est tout bizarre, le temps passe si vite !). Je suis donc née en 1972, et depuis avec ma famille nous n’avons cessé de voyager. Mon papa a été amené a travailler un peu partout depuis ma naissance.
J’ai une petite sœur de 2 ans de moins qui fait sa vie en Allemagne. Expatriée donc depuis le plus jeune âge, j’ai découvert très vite d’autres cultures, civilisations, coutumes. J’ai fait mes études dans des écoles françaises, et passée mon bac A2 (philosophie, langues) à Madrid.
Puis j’ai souhaité rentrer en France, à Nantes pour effectuer mes études supérieures, toujours en lien avec les voyages, puisque j’ai passé un BTS tourisme. J’ai longtemps travaillé sur l’aéroport de Nantes, puis en agence de voyages.
Je me suis mariée, j’ai eu mes deux enfants et le tourisme n’était plus vraiment compatible avec le rôle de maman que je souhaitais.
Mon mari a eu la possibilité de venir travailler sur la côte et voilà, nous avons atterri au bord de l’océan.
Les enfants grandissant, j’ai repris quelques petites activités comme, donner des cours particuliers d’anglais ou d’espagnol, voir souvent de français. Et c’est naturellement que je me suis tournée vers la petite enfance.
Vous avez écrit et publié « Passer la vague », qui est un témoignage de votre vie et de votre handicap survenu brutalement. Comment vous est venu l’envie d’écrire ce livre et qu’est-ce qui vous intéresse à travers l’écriture ?
J’ai toujours adoré écrire des discours pour des événements (au grand
désespoir de tous, ahaha…oui ça finit toujours en pleurs)
Parfois aussi lorsque je n’arrivais pas à dire quelque chose, et bien je laissais une lettre. Ainsi, on est obligé de nous écouter et ce, sans nous couper la parole.
Mais c’est surtout mon état de santé qui a précipité l’écriture.
J’ai eu un blog pendant près de 7 ans, «tous pour alexandra », dans lequel je racontais mes douleurs, mes souffrances, mon quotidien.
Parallèlement, j’écrivais sur des cahiers, toute ma colère, mon désespoir, mes peurs…D’ailleurs une thérapeute m’avait conseillé de brûler les feuilles qui me faisaient tant de mal.
Et c’est une rencontre des années plus tard, qui a fait que j’ai mis un terme à tout, celle de Nathalie Palayret, à qui j’avais parlé de mes écrits. Elle a souhaité les lire… Deux jours après, elle m’a appris qu’elle travaillait à devenir biblio-thérapeute et que je serai un très « bon exercice » pour démarrer, son activité.
Banco !! En 6 mois nous avons retravaillé, mis tout en page, jeté beaucoup
beaucoup de choses (et tant mieux). Et voilà « Passer la vague » est né.
Vous utilisez le champ lexical de la mer (le sable, les vagues, le bord de mer…) pour parler des épreuves que vous avez surmontées. Pourquoi ?
Oui, la mer, l’océan font partie de moi, de ma vie, de ma passion. Les sports nautiques, nager, plonger, j’adore ! J’aime tout ce qui touche à l’océan.
Cette immensité, ce calme après la tempête. C’est un lieu de ressources, ou l’on s’aperçoit que l’on est tout petit. Et l’océan c’est comme la vie, jamais complètement calme. Une vague puis une autre, un peu de répit et ça repart…bref la vie quoi !
Est-ce que votre handicap a changé quelque chose dans votre vie personnelle et votre façon de pratiquer vos activités professionnelles ?
Évidemment tout a changé dans mon quotidien.
Ma maison est adaptée pour le plus d’autonomie possible, (d’ailleurs je suis toujours paniquée lorsque je la quitte !), mon temps de préparation, puisque je fais tout toute seule. Ma fatigabilité également, je n’ai plus l’énergie d’avant, le manque de tension, la mauvaise circulation sanguine, le manque de motricité, les bobos en tous genres (notamment les escarres) …bref la liste pourrait être très longue (rires).
Tout cela a un impact sur une vie professionnelle « normale ». Le travail ne court déjà pas les rues…Pas très simple d’adapter un poste pour quelqu’un qui a autant de contraintes ! Alors a part du travail très précaire ou se remonter les manches tout seul…Pour la plupart d’entre nous d’ailleurs nous nous prenons en main pour nous en sortir.
Dans ce livre, il est beaucoup question de vos proches et de leur soutien, de souvenirs d’enfances et des nouvelles rencontres que vous avez fait en centre de rééducation notamment. C’est important pour vous ce lien entre les gens pour se reconstruire, pour se sentir soutenue ?
Le lien avec mes proches est et a été primordial, pour « survivre ». Celui de mes amis, énorme pour avancer.
Oui, je ne peux pas vivre sans les autres (bien que je sois seule à décider, ou faire), j’ai besoin de cette relation aux autres, de ce partage, de tout cet amour. C’est mon moteur.
Ma force je la puise chaque jour au travers de mes enfants que je vois grandir. C’est eux que je voyais en salle de réanimation, et il était hors de question que je les abandonne.
Mon enfance a été très privilégiée. Et je n’en ai pas souvent parlé à l’âge adulte.
C’était souvent pris comme de la prétention, pourtant il s’agissait de ma vie et elle était si riche.
Alors oui, mon ouvrage a été un moyen d’en parler enfin ! Et de montrer aussi que tout peut basculer,
Mes parents si tristes de mon sort ont été très heureux de lire que cette
enfance avait été pour moi fabuleuse (sourires).
Les rencontres entre personnes « handis » sont pleines de sens, d’inspiration, et de nouveaux apprentissages dans ce nouveau monde. Les échanges se font sans tabous et on se donne plein d’astuces.
Vous évoquez également vos peurs, votre tristesse face à votre apparence qui a changé si soudainement. Ce corps qui ne vous appartient plus vraiment, tellement il est manipulé, observé pour être soigné. Celui-ci que vous finissez même par rejeter avec ce sentiment d’humiliation d’être devenu un objet (malgré tout le professionnalisme et la gentillesse du corps médical).
Comment avez-vous réussi à gérer tout cela et à vous réapproprier votre féminité et votre intimité ?
Têtue, je ne voulais plus que l’on me touche. Au prix d’énormes efforts, j’ai réussi à tout faire seule, je parle là de tout ce qui touche à mon intimité.
Je ne voulais plus que l’on me manipule comme un objet. Certes je n’avais pas le choix au début mais j’ai appris très vite.
Et puis mon amie (Sissy dans mon livre) et ma maman, désespérées de voir mon laisser aller, m’ont invité à une journée shopping. Ça semble banal et pourtant on a réveillé celle que j’étais. Fini les couleurs tristes, terminé les vêtements qui vous cachent. Les photos doivent être encore sur Facebook à « Alex le retour ». Et me voilà !
Vous évoquez d’ailleurs, avec une telle vérité, la fragilité de la vie de couple et des amitiés dans ces épreuves-là.
Comment réussir à maintenir toutes ces relations le plus intact possible tout en gérant sa propre reconstruction, sa propre réadaptation au quotidien ?
C’est une autre épreuve, et pas des moindres. Vous n’êtes plus la même femme, le quotidien est un combat avec vous même ! Alors que se passe-t-il dans la tête de l’autre ? Ça je ne pourrais jamais y répondre.
Il devient votre aidant. J’ai toujours cru qu’on pouvait s’aimer pour le meilleur et pour le pire ! Si amour il y a toujours !
Mais si un couple ne communique pas …malgré » les efforts, on s’essouffle, on s’épuise. Et lorsque l’on est fragile, qu’on ne peut agir… certains en profite.
Dans l’amitié, il y a ceux qui fuient, les nouveaux, ceux qui vous ont tourné le dos et qui reviennent.
Oui ce n’est pas simple de garder tout intact lorsque sois même on est cabossé. Mais voilà, aujourd’hui mon monde ne s’est pas écroulé, bien au contraire. Je suis entourée de l’amour des miens, de tous mes amis qui sont toujours là.
Vous travaillez et intervenez auprès des enfants dans les écoles, pouvez-vous nous en parler ?
Jusqu’à l’année dernière je travaillais !
Les réformes oui toujours les réformes ! J’étais animatrice pour les temps péri-éducatifs, mais voilà c’est terminé. Quatre ans à sensibiliser les enfants au handicap, à parler anglais, espagnol, bricoler… Un vrai bonheur, les enfants sont si demandeurs, curieux, inconscients.
Ils sont toujours prêts à vous aider, veulent apprendre. Ils n’ont pas peur de poser les questions.
Quel sens souhaitez-vous donner à votre travail auprès des enfants ou à travers l’écriture ? Quels sont les messages que vous souhaitez véhiculer ?
Très égoïstement ce fut une thérapie personnelle. J’ai souhaité répondre à des questions que je me suis posée pendant des années sans trouver de réponse nulle part. Et ce le plus simplement possible, avec mon cœur et sans tabou.
En ce qui concerne les enfants, je suis persuadée que ce sont eux qui peuvent changer les regards.
D’où le fait que je continue à intervenir bénévolement dans les écoles, pour parler du handicap et tenter de répondre à toutes leurs questions.
Respect, tolérance, bienveillance, inclusion, voilà mes maîtres mots.
Et ne jamais oublier que la vie est précieuse, que demain tout peut basculer pour tout un chacun. Et que personne n’est au-dessus de personne !
Quel est votre avis sur la place des femmes handicapées dans la société aujourd’hui ? Quelles sont les choses à améliorer ?
Et bien nous sommes là, bien vivantes, avec une force qu’on ne soupçonnait pas.
Des femmes ! Avec une envie de vivre comme tout le monde.
Pour beaucoup des mamans, nous avons donc un rôle à jouer.
Nous ne sommes pas assez représentées, ceux qui parlent de nous ne connaissent pas le quart de ce que nous vivons !
L’image des femmes handicapées est quasi nulle, par rapport à d’autres pays. Nous ne rentrons plus dans les codes et pourtant…la diversité est si importante dans notre société pour que celle-ci évolue positivement.
Ça ne s’arrête donc pas qu’au handicap selon moi. Il y a beaucoup trop de discrimination un peu partout.
Quels sont vos projets à venir ?
Eh bien voilà c’est comme une évidence et j’y travaille depuis plus d’un an et demi…Transmettre, partager… Je vais donner très prochainement ma première conférence sur la résilience (elle est
loin la petite Alexandra, qui n’osait pas).
Je continue les interventions dans les écoles, pour sensibiliser au handicap.
Je suis l’Ambassadrice d’une start-up pour la diversité et l’inclusion au sein des entreprises : MIXITY
En parallèle j’apprends à communiquer, pour la diffusion de mon ouvrage qui semble faire du bien autour de moi. Je serai avec ma maison d’édition : les Éditions Nouvelle Bibliothèque, au salon du livre de Paris 2020. ( c’est énorme !)
Alors conférencière, consultante ??? On verra…
Je souhaite que tous ces projets me permettent de gagner ma vie décemment. Parce que j’ai des choses à dire et faire. Et que j’existe et j’ai envie de vivre !
https://www.ednobi.com/littérature/passer-la-vague-alexandra-guigand (18euros)