Presque 3 ans après le début de la crise sanitaire toujours bien présente et que l’on semble pourtant oublier peu à peu ou à laquelle nous nous sommes habitués, qu’en est-il de la considération faite au Handicap et de la place des femmes dans la société ? C’est ce que nous avons voulu savoir avec les témoignages croisés de Sandrine, Axelle et Virginia pour le retour des articles sur le blog Andy in the City.
Bonjour les filles pouvez-vous présenter ?
Axelle : je m’appelle Axelle Rouchon. J’ai 23 ans et je viens de Clermont-Ferrand, j’ai créé le blog Sans limites dans le but de partager mes aventures du quotidien en situation de handicap. L’objectif est d’aider les gens à dépasser leurs limites à travers leur passion et faire face à leur handicap. J’écris des articles sur mes voyages, mes expériences ainsi que mes passions diverses. Je fais également des articles sur des réflexions concernant le handicap. J’ai fait des vidéos sur YouTube sous forme d’interviews afin de mettre en avant des gens inspirants en situation de handicap. L’objectif est de valoriser des parcours de vie hors du commun.
Virginia :Moi c’est Virginia, 36 ans, et en situation de handicap dû à une maladie rare rénale invalidante (le syndrome de Bartter). Je suis mariée, et nous avons deux enfants. J’ai une RQTH et deux CMI (carte priorité et carte de stationnement) qui soulagent mon quotidien. Je suis ingénieur et je travaille dans la fonction publique. Je me suis rapidement plongée dans le domaine associatif pour sortir de l’isolement et apporter ma goutte d’eau pour rendre notre monde meilleur. C’est mon espoir en tout cas. Nous avons débuté en créant une association de patients sur nos maladies rares (https://youtu.be/cJqiHqVqC68) : les syndromes de Gitelman et Bartter : https://www.gitelbart.fr . Je suis présidente de cette association qui porte plusieurs projets, dont le livre pour enfant « Différents et heureux ». J’ai également un compte Instagram @virginiainvisible
Sandrine : Je m’appelle Sandrine, un petit bout de femme d’un mètre cinquante-trois et demi, au caractère bien trempé ayant un handicap ou plutôt une petite « particularité » comme le dit si bien mon homme ! J’ai eu la chance de travailler huit années dans le milieu de la mode en cumulant plusieurs casquettes entre l’organisation des défilés de mode, la mise en place de nombreux shootings et également le travail de mannequin » wheelchair « . Croyez-moi, cela fait un bon planning ! J’ai vraiment adoré cette période de ma vie, sentir l’adrénaline monter avant chaque défilé ou voir les magnifiques résultats des shootings… Pendant ces années je n’avais qu’un seul objectif, montrer que même avec un handicap, nous pouvons être professionnel dans le domaine de la mode ! Je pense avoir vraiment contribué à l’évolution des mentalités françaises. Côté privé je suis en couple depuis quelques temps maintenant et belle-mère de 2 enfants. J’ai crée le blog Parisiennejolly.
Quels sont les messages que vous souhaitez véhiculer à travers vos projets respectifs ?
Axelle : j’aimerais parler de toutes les facettes du handicap tabou ou pas. Que ce soit l’emploi, le couple, les transports, l’aspect économique des choses etc… Je pense qu’il y a beaucoup de freins concernant la vie active des personnes en situation de handicap et des prises en charge.
Virginia : « Différents et heureux » raconte l’histoire de Théo et Lune, tous deux atteints d’un handicap invisible. C’est le soutien, l’amour et l’amitié qui leur permet de vivre au mieux. L’idée c’était d’expliquer le quotidien avec un handicap invisible dû à une maladie invalidante quand on est enfant. Ce livre s’adresse donc à tous en situation de handicap ou non : enfants, parents, enseignants… Les bénéfices sont entièrement reversés à l’association Gitelbart pour financer d’autres projets en lien avec le handicap invisible. Le compte Instagram je l’ai créé dans l’espoir de sensibiliser au handicap invisible, parce que je pense que le seul moyen pour exploser les préjugés, c’est de continuer à parler du handicap. Parfois ce sont de simples maladresses, mais d’autres fois de véritables discriminations. Ma grand-mère m’a toujours dit « il ne faut pas faire aux autres ce qu’on n’aimerait pas qu’on nous fasse », donc je me dis qu’en écrivant ce que j’aurais aimé entendre, peut-être que ça éveillera certains… Trop souvent nos vies sont idéalisées, notamment les adaptations que nous pouvons avoir dans le domaine professionnel, mais aussi personnel. J’espère pouvoir apporter comme messages de l’espoir, de l’écoute, de l’empathie et de la bienveillance… Des comportements trop souvent oubliés dans le quotidien.
Sandrine : Je pointe du doigt différents sujets liés à la féminité, que l’on associe quasiment jamais aux femmes en situation de handicap : « Draguer lorsqu’on est une femme handi, être une maman à part entière, s’habiller sexy, consulter un gynécologue avec une connaissance du handicap, sentir le désir monter grâce à un bon cunnilingus ou des sex-toys…:D ». Pourtant nous pouvons vivre toutes ses choses en les revendiquant haut et fort ! Le blog Parisiennejolly.com a pour but d’être 100% féminin, il a donc vu le jour le 8 mars 2022 en l’honneur de la journée de la femme. La joie de vivre, la modernité, la fun attitude et so sexy, sont les maîtres-mots ! Le blog reflète parfaitement ma mentalité face au Handicap ! Et oui, je vous le confirme en 2022 nous sommes des femmes à part entière assumant pleinement notre vie et sans TABOU !
Quelles sont les limites en lien avec le handicap qui existe selon vous et dont vous souhaitez parler ?
Virginia : Les plus grandes limites en lien avec le handicap invisible qu’il existe d’après moi, c’est l’incompréhension des autres, les jugements et les idées préconçues. Souvent cela repose sur l’imaginaire et un effet de comparaison absurde : « je te comprends moi aussi je suis fatiguée » ou « forcément que tu es fatiguée, tu as deux enfants ». Sauf que la fatigue d’une personne valide, n’est pas celle d’une personne handicapée. D’ailleurs nous devrions parler d’asthénie qui est le terme médical, et non « fatigue », mais pour « simplifier » je parle aussi de fatigue. Quand au sujet enfant, là encore c’est uniquement en questionnant la personne handicapée que l’on peut comprendre. Une maman valide pourra programmer son week-end, des activités et les suivre. Dans notre cas, nos week-ends et activités sont rythmées constamment avec le handicap… En fonction des douleurs, de l’épuisement plus ou moins fort, et des autres symptômes qui s’invitent dans nos vies.
Sandrine : Par rapport à la sexualité, je dirais que c’est à chacun.e de voir ses propres limites. Pour ma part je n’ai pas vraiment de limite, je suis mes envies, mes pulsions et surtout tout se passe au niveau du feeling avec son.a partenaire.
Comment avez-vous vécu la période de crise sanitaire et le confinement ?
Axelle : Je n’ai pas mal vécu la crise sanitaire. En effet j’ai toujours été habitué à être dans ma chambre entre 4 murs et de ne pas pouvoir sortir. En revanche j’ai eu la chance de passer cette période avec mon copain et ma famille avec qui j’ai pu partager de très bons moments à la maison mais aussi dans notre jardin. C’était une période transitoire entre mes études et la vie professionnelle c’est pourquoi je n’ai pas eu énormément de soucis.
Virginia : D’un point de vue médical ça n’a pas été simple étant donné que le centre antidouleur a fermé une période. J’ai fait autrement, en utilisant des applications comme petit bambou, mais il me manquait mon suivi. Le centre antidouleur, c’est à titre personnel ma bouffée d’oxygène, donc j’ai mal vécu sa fermeture. Professionnellement, j’ai rencontré je pense comme beaucoup d’autres personnes à risque des difficultés de compréhension de mes adaptations, et notamment le télétravail 100%. La possibilité d’être en télétravail est vécu comme d’autres comme une injustice : « oh la chance elle est en télétravail ». Comme dit mon mari, ils ne voient que les « avantages », et occultent le reste : prises de sang, hospitalisation, crises articulaires, douleurs chroniques, épuisement, alitement… Et que concrètement, je lâcherais bien toutes mes adaptations pour retrouver un statut de valide ;). On en revient toujours à cette phrase qui est très vraie « si tu veux ma place, alors prends mon handicap ».
La crise sanitaire ce qu’elle a apporté de positif c’est une augmentation de mes nombres de jours en télétravail, recommandée par ma néphrologue. Ce qu’elle a apporté de négatif c’est une incompréhension plus forte de mes risques et là encore de « raccourcis »… « Si elle est vaccinée, pourquoi elle porte un masque ? », « Si elle est malade et à risque, pourquoi elle est enceinte ou a des enfants ? »
L‘isolement ne m’a pas pesé personnellement, peut-être parce que nous étions en famille et que nos enfants nous ont permis de sortir d’un véritable isolement. On a maintenu un lien à distance avec nos amis, tous d’une extrême bienveillance et compréhension.
Sandrine : La crise sanitaire ne m’a pas posé de problèmes en particulier ! Pendant le premier confinement mes meilleurs amis étaient mon frigo et Netflx (rires)
Est-ce que certaines choses ont changé pour vous depuis cette période ?
Virginia : Depuis cette crise sanitaire, mais je dirais surtout depuis que j’ai fait face à une grossesse à risque en même temps qu’une pandémie, j’ai évolué pour ne plus forcer et aller au delà de mes limites. Je ne force plus inutilement pour en payer le prix plus tard, comme je le faisais précédemment, ou du moins j’essaie de moins le faire. Ce n’est pas toujours facile, mais j’arrive à dire non, et j’accompagne d’explications. Pour résumer, je m’écoute davantage pour me préserver, au risque de déplaire. Mais au final, faire un peu moins pour éviter de ne plus pouvoir rien faire pendant des jours, ça a une certaine logique et tout le monde est gagnant, non ?
Quel est votre avis sur la place des femmes handicapées dans la société aujourd’hui ?
Axelle : Je pense que, que l’on soit homme ou femme, du moment que l’on est en situation de handicap, nous rencontrons souvent les mêmes problématiques et les mêmes freins dû à notre situation physique ou psychologique. Mais il est vrai que la situation de la femme peut avoir d’autres freins : les femmes sont plus vulnérables face aux agressions dans la rue, les cycles menstruels sont assez compliqués à vivre et la façon de s’habiller peut compromettre notre féminité et notre confiance en nous.
Virginia : Les femmes handicapées subissent une double discrimination, de part leur statut de femme et leur statut de personne en situation de handicap. Si les deux discriminations prises isolément sont bien connues, la double discrimination est moins reconnue et moins évoquée dans notre société. Professionnellement, j’ai une RQTH et je travaille dans la fonction publique. Reste que si l’on me demande si je me sens « intégrée », je répondrais « partiellement ». Je me suis aperçue en tant que jeune maman, nous sommes jugés : si l’on travaille (« elle ne reste pas avec ces enfants ») et si l’on ne travaille pas (« elle devrait travailler « ). Si l’on ajoute la dimension « handicap », ça donne : si l’on travaille « elle devrait rester chez elle et se reposer » et si l’on ne travaille pas « elle devrait travailler « .
Autre sujet tabou, dont on parle très peu c’est la sexualité : les femmes en situation de handicap sont souvent jugées comme des êtres « asexués ». Comme si nous ne devions pas avoir de vie amoureuse ou sexuelle et comme si nous serions incapables de s’occuper d’un enfant…
Vouloir être mère en tant que femme en situation de handicap, c’est un véritable challenge et un combat du quotidien… Quand je suis seule avec nos deux petits, et que je me gare sur une place handicapée, j’ai au mieux des regards désapprobateurs foudroyants de colère et au pire des insultes… Parce que bon « ça va, elle est debout et elle a deux enfants, donc elle a rien »…
Sandrine : En toute franchise, déjà, être une femme valide en France est assez compliqué. Par exemple : avoir le sentiment d’une certaine discrimination face aux hommes. Alors je vous laisse imaginer une femme, jeune et handi, il faut d’avantage faire ses preuves et se battre pour que nos opinions soient vraiment écoutées et surtout prises au sérieux. Il faudrait impérativement que les personnes valides voient les femmes handi comme des femmes à part entière avec une petite particularité en plus !
Alors que l’idée de normalité construite par la société n’est que le résultat de stéréotypes normés, les injonctions par rapport au corps sont encore très présentes. Quel est votre propre rapport avec votre corps, votre féminité ?
Axelle : Comme je le disais juste avant parfois je préfère m’habiller d’une manière moins féminine mais seulement pour être plus à l’aise,. Mais j’aimerais m’habiller un peu plus souvent en robe, avec des bijoux etc pour me sentir mieux. En ce qui concerne mon corps j’ai un meilleur rapport en étant adulte que lorsque j’étais enfant. en effet lorsque j’étais plus jeune j’étais très maigre et je l’ai assez mal vécu tandis qu’aujourd’hui je suis presque un peu trop enveloppé selon moi. Je pense que ce n’est pas le poids qui importe mais plutôt la façon dont on se sent dans son corps.
Virginia : Ma vision c’est celle d’une femme libre de ses choix : d’avoir un enfant ou non, de travailler ou non, de s’habiller comme elle le souhaite, etc. Cette liberté a des limites que m’impose le handicap. Par exemple, j’ai eu deux grossesses à risque très éprouvantes. Ce n’était pas des « grossesses normales ». Autre exemple, je n’ai pas la liberté corporelle de faire un jogging : mon handicap ne me le permet pas.
Sandrine : Ayant 40 ans (et oui déjà), je suis plus épanouie que jamais, physiquement et mentalement. Les petits complexes qui me dérangeaient fortement pendant ma vingtaine et ma trentaine ont tendance à disparaître à l’aube de cette fameuse quarantaine ! Pour être totalement transparente cela se ressent dans ma manière de m’habiller, me coiffer et surtout au niveau de mon attitude. Je me moque complètement des avis extérieurs. Si mon nouveau « moi » plaît, c’est cool sinon tant pis, passe ton chemin…Mon apparence vestimentaire est primordiale pour moi, déjà pour mon bien être perso et on va être honnête lorsqu’on est bien sapée , maquillée , coiffée… le regard extérieur à tendance à changer, les personnes regarde plus la femme et après le handicap, je trouve cela très important !
Selon vous, quelles sont les choses à améliorer pour une prise de conscience collective au sujet du handicap ?
Axelle : Je pense qu’il faut d’abord casser tous les préjugés portés sur le handicap :le regard qu’à la société sur nous, notamment dans le monde de l’emploi et médical. J’aimerais que le monde voit d’abord notre personnalité avant notre handicap puisque ce n’est qu’une facette de notre être.
Virginia : D’après moi, la sensibilisation au handicap devrait être une partie même de la scolarité, car ce sont les futurs adultes de demain… Les mêmes qui discrimineront ensuite, car ne comprendront pas le handicap. On parle beaucoup du mot « inclusion », mais sans réellement s’intéresser au vécu des personnes en situation de handicap. Je pense que les sensibilisations dans le domaine professionnel devraient être une obligation, et non une option. J’aimerais que les personnes posent des questions pour comprendre le handicap, plutôt que de produire des regards désapprobateurs ou des insultes. Pour terminer, je pense que nous ne parlerons jamais « trop » du handicap, étant donné que le handicap est la première cause de discrimination en France depuis plusieurs années. Je remercie ceux qui contribuent à sensibiliser pour rendre notre monde plus doux…
Sandrine : La première chose à changer avant tout c’est la mentalité face au handicap. Il faut raisonner à l’anglo-saxonne et non à la française, ensuite faire des choses concrètes et non des petites mesurettes comme celles d’Emmanuel Macron… (un très mauvais président pour les personnes en situation de handicap) Concrètement il faut : Une accessibilité totale de notre pays, l’augmentation des aides aux personnes handicapées, mettre en place de nombreux services gynéco spécialisées pour les femmes handies, prendre les personnes handicapées au sérieux au niveau professionnel, une inclusion totale de la personne handicapée dès la petite enfance, avoir un regard nouveau sur le handicap.
Les filles, soyez fière de votre corps tel qu’il est, vivez votre sexualité comme vous le souhaitez, kiffez juste votre life !!!
Merci Armelle pour ton courage et pour ce magnifique projet qui aide plus particulièrement les femmes mais nul doute aussi les hommes en situation de handicap, à prendre la parole, à se faire entendre, écouter et respecter, à mieux vivre tout cela au quotidien.
Bonne année et surtout bonne santé pour toi, pour tous ceux qui te sont proches et que tu aimes. Bisous amicaux d’Auvergne.