Être femme et en situation de handicap constitue encore aujourd’hui une double discrimination. 80% des femmes handicapées sont victimes de violences physiques et psychologiques. Cette terrible réalité est taboue et encore trop peu connue aujourd’hui. La lutte pour le droit des femmes et contre les violences faites à leur encontre connait une puissante mobilisation depuis 2017 grâce notamment aux associations et aux mouvements féministes. La parole se libère, les prises de conscience se font progressivement, une solidarité s’organise et les choses commencent à bouger lentement ce qui laisse espérer un changement des comportements même s’il reste beaucoup à faire. Rendre ce combat des droits des femmes accessible aux personnes handicapées et les inclure dans cette lutte quotidienne contre les violences, dont elles sont particulièrement victimes, est indispensable et urgent.
Rencontre avec Isabelle Dumont de l’ Association « Femmes Pour le Dire , Femmes pour Agir », qui lutte pour défendre la place des femmes handicapées dans la société et leur droits en tant que femmes et citoyennes.
Bonjour Isabelle, pouvez-vous présenter l’association ? (Son histoire, ses objectifs, ses champs d’actions…) ?
L’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir – FDFA a vu le jour en 2003, année européenne des personnes handicapées, avec pour objectif premier de promouvoir la place des femmes handicapées dans la société, quel que soit leur handicap, et leur participation à la vie sociale et citoyenne. Ce n’est pas pour rien que la devise de l’association est « Femmes handicapées, citoyennes avant tout ! ».
FDFA lutte contre toute forme discrimination, en particulier la double discrimination du genre et du handicap, et contre les violences que vivent 4 femmes handicapées sur 5.
Comme son nom l’indique, l’association travaille selon deux axes. Le premier est celui de la réflexion, de l’information, de la sensibilisation sur des thématiques liées aux femmes et aux handicaps : la citoyenneté, la santé, l’emploi, les violences… avec l’organisation de colloques, de forums, de conférences-débat pour poser clairement la question et y réfléchir ensemble. Le second axe est celui d’actions directement mises en place pour les femmes en situation de handicap qui sont membres de l’association, avec des ateliers de mieux-être physique et psychologique qui leur permettent de travailler leur estime de soi et sortir de l’isolement dans lequel très souvent les plonge le handicap. Ces ateliers favorisent le vivre ensemble puisqu’ils accueillent également des personnes dites valides.
Depuis plus d’un an maintenant, l’association – qui est reconnue Education Populaire et Jeunesse – a mis en place de nouvelles actions de sensibilisation auprès des jeunes publics sur les questions des discriminations. Cette activité sera sans aucun doute appelée à se renforcer dans les prochaines années puisque nous sommes en train de développer des outils numériques pour atteindre les plus jeunes.
Avec bientôt 17 ans d’existence (en mars 2020) – on peut dire que FDFA est dans sa phase d’adolescence finissante. L’association a traversé des moments difficiles en 2017 avec la maladie puis la disparition de Maudy Piot, la fondatrice de FDFA, qui en était aussi la présidente. Il a fallu reprendre le flambeau et redistribuer les missions au sein de l’équipe ! En juin 2019, après une année de transition, trois administratrices ont été nommées coprésidentes. Cette formule inédite d’un trium féminat à la tête de FDFA assure une gouvernance plus en adéquation avec les objectifs, actions et activités de l’association. Autour d’elles, un bureau et un conseil d’administration mènent une réflexion de fond sur le développement et les orientations de l’association pour les prochaines années. FDFA est une petite association mais avec de grandes ambitions pour les droits de femmes en situation de handicap. Le fonctionnement de l’association est surtout assuré par de nombreuses et nombreux bénévoles : plus de 80 personnes ont apporté leurs compétences et donné de leur temps pour l’association en 2018. Enfin, nous sommes deux salariées à temps complet : Marie Conrozier est la chargée de mission Lutte contre les violences. Pour ma part, je suis chargée de la Communication et du Développement associatif.
FDFA organise tout au long de l’année plusieurs événements pour différents publics à l’échelle nationale : des forums, des conférences, des colloques, des ateliers autour de la thématique des femmes et du handicap.
Quels sont les objectifs de ces différents événements ?
Les objectifs sont pluriels, comme il se doit. D’une part, nous menons des réflexions de fond qui nous permettent ensuite de passer à l’action. D’autre part, nous profitons de ces journées de rencontre pour faire connaître l’association, ses actions, ses activités et son actualité ; cela nous permet de recruter de nouvelles et nouveaux adhérent·es et bénévoles.
Association reconnue « Education populaire et jeunesse », FDFA intervient pour des actions de sensibilisation auprès de publics de professionnel·les (police, justice, personnels de santé…), de jeunes (collégien·nes, lycéen·nes, étudiant·es) et de bénévoles œuvrant dans les champs du handicap et des droits des femmes. FDFA intervient également dans le cadre de Journées de Solidarité Entreprises sur des enjeux de société afin de créer du lien entre le monde professionnel et le monde associatif.
Ses principaux axes d’intervention sont la lutte contre les discriminations et pour l’égalité femmes/hommes, la lutte contre les violences faites aux femmes handicapées, l’emploi des femmes handicapées, l’accessibilité et le vivre-ensemble…
Notre but premier a toujours été et demeure de promouvoir la place des femmes handicapées dans la société et leur participation à la vie citoyenne. FDFA est en première ligne pour interpeler les pouvoirs publics sur la double discrimination du genre et du handicap. FDFA porte la voix des femmes handicapées dans des instances telles que le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes dont un de nos administrateurs est membre, le Défenseur des Droits, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, le Ministère des Droits des femmes puis Secrétariat d’Etat en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les discriminations, l’Assemblée Nationale, le Sénat…Ainsi, nous avons activement participé au rapport du Défenseur des Droits sur L’emploi des femmes en situation de handicap – analyse exploratoire sur les discriminations multiples (novembre 2016), au rapport du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes sur La santé et l’accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité (juillet 2017) et à l’avis du CNCDH sur la Lutte contre les violences sexuelles : une urgence sociale de santé publique, un enjeu pour les droits fondamentaux (novembre 2018). Dernière publication en date, le Rapport d’information de la Délégation aux Droits des Femmes du Sénat : Violences, femmes et handicap : dénoncer l’invisible et agir ! (novembre 2019). Ce ne sont que quelques exemples récents de nos actions de plaidoyer.
L’association réalise des ouvrages et des publications en lien avec des auteurs et des contributeurs.
Cela vous permet-il de permettre au grand public de mener une réflexion plus approfondie sur les thématiques qui reflètent la vie de l’association, les valeurs et convictions de l’association ?
Depuis ses débuts, FDFA a fait le pari de la diffusion des connaissances. Il nous a toujours paru essentiel de mettre à disposition du public un corpus thématique, pluridisciplinaire et transversal. Nos publications sont les actes de nos colloques et forums auxquels sont convié·es des chercheuses et chercheurs, des universitaires de différentes disciplines, des professionnel·les travaillant avec des personnes en situation de handicap et surtout des personnes handicapées, porteuses de tous types de singularités. Nous souhaitons créer des passerelles entre tou·tes ces intervenant·es et, pourquoi pas, susciter des vocations ou pour le moins des interrogations dans la double approche genre et handicap.
Aussi, notre expertise du terrain a récemment été sollicitée par deux sociologues pour deux projets différents mettant en avant une approche intersectionnelle genre et handicap. Nous espérons ainsi apporter notre modeste contribution à des travaux universitaires de premier plan.
Selon Le Parlement Européen, dans sa Résolution du Parlement européen du 26 avril 2007 sur la situation des femmes handicapées dans l’Union européenne, près de 80 % des femmes handicapées sont victimes de violences psychologiques et physiques.
Comment peut-on « expliquer » ce pourcentage terrible et pourtant si peu connu aujourd’hui ? Quel est votre avis aujourd’hui sur la considération portée aux femmes en situation de handicap dans la société aujourd’hui et sur le respect de leurs droits en tant que citoyennes ?
On ne peut que constater cette réalité méconnue parce que taboue. Il existe un « impensé » de ces violences dans la société. De la même façon que les personnes valides savent intellectuellement que le handicap existe sans se poser plus de questions que cela sur le quotidien des personnes handicapées, de la même façon on se doute bien que les femmes handicapées sont sujettes à des violences, sans aller plus avant dans l’analyse du phénomène.
En fait, les violences faites aux femmes handicapées sont à la confluence de deux systèmes de violences : celles liées au genre – les violences sexistes et sexuelles qui ne touchent que les femmes parce qu’elles sont femmes – et les violences liées au handicap, L’intersectionnalité – le cumul de deux systèmes inégalitaires et discriminants en l’espèce celui du genre et celui du handicap – fait que le handicap est un facteur aggravant des violences faites aux femmes. N’oublions pas non plus que les violences faites aux femmes sont aussi génératrices de situation de handicap.
Les mobilisations féministes sur la question des violences font bouger les lignes : bon nombre de média ne considèrent plus le meurtre d’une femme par son conjoint ou ex-conjoint comme un fait divers mais comme un féminicide. La prise de conscience est là et nous espérons qu’elle touchera de plus en plus le grand public.
Toutefois, tant que des moyens seront refusés aux associations écoutant les victimes, les accompagnant juridiquement, les hébergeant en urgence, les aidant à sortir de la spirale des violences, à se reconstruire et à (re)devenir autonomes, la situation ne pourra s’améliorer.
En 2015, L’association a mis en place « Ecoute Violences Femmes Handicapées », une permanence par téléphone gérée par des bénévoles (01.40.47.06.06 – accueil téléphonique le lundi de 10h-13h/14h30-17h30 et le jeudi de 10h-13h). Son objectif est d’accueillir, d’orienter, et d’accompagner juridiquement, socialement et psychologiquement des femmes en situation de handicap victimes de violences et de maltraitances.
Quelles aides et soutiens pouvez-vous apporter à ces femmes ? Que viennent-elles chercher en faisant la démarche d’appeler la permanence ?
Ce n’est pas UNE permanence, c’est la SEULE permanence en France à écouter, orienter et accompagner les femmes handicapées victimes de violences et de maltraitances ! Les femmes sourdes peuvent nous joindre par courriel à une adresse dédiée : ecoute@fdfa.fr
La principale demande des femmes handicapées qui nous appellent est d’être écoutées et entendues. Leur première attente est d’être crues, de s’entendre dire « je vous crois ». Que leur parole ne soit pas mise en doute. Que la véracité de leur souffrance ne soit pas questionnée. C’est extrêmement important pour elles. Après, chaque femme a des attentes différentes. Certaines nous livrent leur vécu de violences, nous remercient et raccrochent sans rien demander de plus que ces moments d’écoute bienveillante. D’autres femmes sont peut-être plus avancées dans leur parcours de sortie des violences : elles sont en demande de conseils pratiques et d’informations, sur leurs droits le plus souvent. Chaque personne est unique et ses attentes le sont également.
Pour certaines femmes qui souhaitent aller plus loin, nous leur proposons une rencontre avec notre écrivaine publique pour une aide dans les démarches administratives, avec notre assistante de service social, notre psychologue ou notre avocate. Ces permanences n’ont pas pour objet de se substituer à ce que font les assistantes sociales de secteur, les psychologues ou en général toutes les personnes qui sont déjà investies dans l’accompagnement de ces femmes. Notre rôle est de prendre le temps d’expliquer et d’aider à comprendre.
Comme vous l’avez rappelé dans votre question, notre permanence téléphonique n’est ouverte qu’un jour et demi par semaine. Nous manquons de bénévoles pour pouvoir ouvrir une demi-journée supplémentaire. En 2018, nous avons reçu 2.067 appels et avons accompagné 214 femmes handicapées victimes de violences.
L’initiative a obtenu le label « Sexisme, pas notre genre » décerné par le Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes en septembre 2016. Par ailleurs, l’association a obtenu en 2016 plusieurs disctinctions : le Prix Citoyenneté du Prix OCIRP Handicap, la Mention Spéciale du Prix des Droits de l’Homme de la République Française « Liberté, Egalité, Fraternité » et le Prix « Lutte contre les violences » du Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes en 2017. Qu’est-ce que cela signifie pour l’association ?
Ces prix et distinctions sont d’autant plus importants pour l’association qu’ils ont été décernés par des acteurs publics et privés. De plus, pour une même action, FDFA a été saluée comme une actrice majeure dans la lutte contre le sexisme et les violences de genre et comme une intervenante incontournable pour la citoyenneté des personnes handicapées.
Il existe d’ailleurs une autre reconnaissance toute aussi importante à nos yeux qui est celle de nos soutiens financiers. Nous avons la chance d’avoir des partenaires et des mécènes qui accompagnent au quotidien l’association. La Mairie de Paris, la Région Ile de France, la Cour d’Appel de Paris, la Fondation RAJA-Danièle Marcovici, la Fondation des Femmes, la Fondation Orange et Orange Solidarité, la Fondation Renault ont été les principaux soutiens de nos actions en 2019.
Combien de bénévoles compte l’association FDFA aujourd’hui ? quels sont leurs missions au sein de l’association ? comment le devenir ?
En 2018, l’association comptait 80 bénévoles actives et actifs. Les missions sont nombreuses et variées, comme vous pouvez vous en douter. Nos bénévoles interviennent dans toutes les actions et activités de l’association : écoute, permanences, animation des ateliers, organisation événementielle, support administratif… Toutes les missions à pourvoir sont en ligne sur le site de FDFA : http://fdfa.fr/association/devenir-benevole/
Il va de soi que nous accueillons les personnes en situation de handicap qui souhaitent devenir bénévoles !
Vous avez récemment mis en place un partenariat avec Lilo, le moteur de recherche qui finance gratuitement des projets sociaux et environnementaux. Que retenez-vous de cette expérience ?
Nous avons été ravies lorsque Lilo a retenu notre « Ecoute Violences Femmes Handicapées – 01 40 47 06 06 » comme projet à financer. Là aussi, c’est un signal fort qui nous est envoyé sur l’importance de notre action. Très optimistes, nous avions espéré regrouper d’entrée de jeu une vaste communauté avec nos abonné·es des réseaux sociaux. Le démarrage a été lent : nous avons dû faire de la pédagogie pour expliquer pourquoi choisir Lilo plutôt qu’un autre moteur de recherche, comment l’installer et comment soutenir FDFA. Nous invitons d’ailleurs toutes vos lectrices et lecteurs à nous soutenir ! Au-delà de la possibilité de financement complémentaire pour notre projet, Lilo nous permet de créer une solidarité nouvelle et de mieux faire connaître notre association.
Quelles sont les actualités de l’association à venir ? Quelles sont vos attentes pour les droits des femmes en situation de handicap en France ?
Notre association fourmille de projets pour 2020. Nous avons en préparation deux journées de rencontres, de dialogues et d’échanges qui se tiendront en mars et octobre/novembre à Paris sur la « maternité au prisme du handicap ». Nous inaugurerons d’ailleurs une nouvelle formule pour que les personnes en situation de handicap s’approprient cette question et investissent cette thématique avec leurs expériences et leurs témoignages.
Pour nos actions de sensibilisation, nous travaillons à la création d’un escape game digital qui nous permettra d’aborder les questions des discriminations avec les plus jeunes via un support ludique. Autre projet qui nous tient particulièrement à cœur : le lancement d’un site accessible dédié à la lutte contre les violences faites aux femmes handicapées. Nous avons commencé à lever des fonds pour le financer mais n’avons pas encore rempli la cagnotte !
Mais plus que tout, nous avons besoin de bonnes volontés pour nous soutenir et soutenir nos actions en faveur de la reconnaissance des femmes handicapées comme citoyennes à part entière. Nous avons besoin de bénévoles, nous avons besoin d’adhérentes et d’adhérents, nous avons besoin d’abonné·es sur Facebook, Twitter, LinkedIn et YouTube pour partager nos informations et faire connaître notre association.
Nous avons l’expertise, les compétences et la volonté de porter haut et fort la voix des femmes handicapées : il ne nous manque que les moyens de nos ambitions !
Merci infiniment à Isabelle Dumont, chargée de mission Communication & Développement associatif pour l’association Femmes Pour Le Dire, Femmes pour Agir www.fdfa.fr
Pour terminer découvrez le court-métrage « Violences du silence », produit par FDFA, qui met en lumière 8 témoignages de femmes handicapées victimes de
violences.
(Avertisssement : Ces témoignages nécessaires et bouleversants de par leurs aspects réels et dramatiques peuvent heurter la sensibilité des personnes non averties et sont susceptibles de raviver des souvenirs, des traumatismes dans le cas d’un vécu de violences. Je vous conseille dans ce cas d’y revenir un peu plus tard. Les 8 témoignages sont également disponibles à l’unité
sur Youtube).