Certaines rencontres – qu’elles soient personnelles, professionnelles, scolaires, réelles ou virtuelles – vous touche et vous font particulièrement évoluer, vous donne confiance, vous encourage à défendre vos convictions profondes et à occuper votre véritable place. Cela se passe souvent en toute discrétion sans même que ces personnes ne le sachent et qu’elles en aient conscience. C’est le cas dès que l’on discute avec Charlotte Tourmente à propos de la place des femmes dans la société, de handicap, d’éveil des consciences ou encore de réalisation personnelle, d’audace et d’un tas d’autres sujets passionnants. Rencontre.
Bonjour Charlotte, est-ce que tu peux te présenter ?
Je suis une grande optimiste, persuadée que le handicap fait développer des atouts considérables.
Je suis médecin, journaliste, sexologue et j’ai une sclérose en plaques depuis 24 ans. Cette sclérose en plaques, dont la diagnostic a été fait quand j’avais 20 ans, m’a paradoxalement rendue plus insouciante et surtout centrée sur l’essentiel : l’amour, l’amitié, l’humour, la solidarité. La maladie a évidemment compliqué mon cursus universitaire et ma vie professionnelle puisque j’ai dû renoncer à l’exercice de la médecine et me reconvertir en journaliste médicale. Je travaille aujourd’hui pour deux sites internet, avec un poste adapté, en télétravail et à temps partiel, en plus, je reçois des patients comme sexologue. Et j’adore mes différents métiers !
Tu es la Présidente de Dare Women Handicap. Peux-tu nous présenter cette association et ton rôle au sein de celle-ci?
Depuis le mois de juin, j’ai pris la présidence de Dare Women Handicap, une entité dédiée aux femmes avec un handicap, au sein de l’association Dare Women. Le but premier est de les faire briller et de leur donner une visibilité. Ce que la société et les médias ont du mal à faire…
Le projet a pris naissance grâce à une rencontre, celle de Frédérique Picard-Le Bihan, la présidente de Dare Women, qu’elle a fondé en rentrant de 10 ans de vie à l’étranger, notamment 3 ans en Californie ou j’ai découvert l’audace des femmes californiennes. Un coup de cœur amical et professionnel ! Elle a lancé Dare Women en 2019 pour accompagner les femmes à être plus audacieuses ; l’association repose sur 2 piliers fondamentaux : l’Audace et la Solidarité.
Elle est particulièrement sensible à la problématique du handicap puisque sa fille ainée, Margaux, est malentendante des 2 oreilles depuis qu’elle est née. Elle est la vice-présidente de Dare Women Handicap et travaille en Ressources Humaines.
Toutes les 3, nous souhaitons aider les femmes avec un handicap ou une maladie chronique, à développer des atouts pour s’épanouir davantage dans leur vie, notamment professionnelle.
Dare Women Handicap a plusieurs objectifs : apporter un espace de parole et d’échanges, pour favoriser la solidarité et l’inspiration (avec des réunions virtuelles pour le moment, des insta-lives de personnalités audacieuses) ; lutter contre les préjugés aussi bien dans les médias que dans les entreprises, à l’aide de vidéos, de dossiers de presse et d’interventions ; promouvoir l’audace grâce à des ateliers animés par des coachs certifiés et des psychologues, pour développer des compétences comme la confiance en soi, la prise de parole, la résilience.
Je m’investis à la fois dans Dare Women à travers des groupes de travail, des participations aux évènements organisés régulièrement, la réalisation d’insta-lives. Et évidemment, je suis particulièrement impliquée dans Dare Women Handicap aussi bien dans la création de liens particuliers avec les adhérents, que la réalisation de vidéos, d’insta-lives. Margaux est plus spécialisée dans les entreprises et fait aussi des vidéos ; Frédérique dirige l’association et l’entité DWH grâce à son expérience professionnelle et humaine !
Dare Women Handicap organise différents événements à destination des femmes en situation de handicap et des adhérentes sur différents thèmes tels que la confiance en soi, la prise de parole en public, l’innovation ainsi que des modules de formations pour développer certaines compétences et construire son projet personnel ou professionnel.
Quels sont les objectifs de ces différents événements ?
L’audace n’est pas innée, elle s’apprend grâce à des outils, comme développer la confiance en soi, la prise de parole en public, etc. Dare Women propose donc des ateliers animés par des coaches professionnels, pour toutes ses adhérentes. En complément, il y aura également plusieurs ateliers spécifiques au handicap, portant sur la résilience, sur la communication en entreprise et dans sa vie personnelle, sur la façon de surmonter l’annonce d’un handicap.
Pour favoriser l’entraide entre toutes les femmes, nous organisons des réunions Zoom pour ouvrir un espace de parole. L’inspiration étant un véritable moteur de Dare Women et un élément qui favorise l’audace, nous interviewons des femmes handicapées particulièrement inspirantes et audacieuses, en direct sur Instagram (à retrouver sur la chaîne Youtube de Dare Women !). Des hommes seront également interviewés. Nos rendez-vous réguliers sur Zoom favorisent également l’inspiration et le partage d’expérience.
Quel est ton avis personnel sur la considération portée aux femmes en situation de handicap dans la société aujourd’hui et sur le respect de leurs droits en tant que citoyennes ? Selon toi, quelles sont les choses à améliorer pour une prise de conscience collective au sujet du handicap ?
Les femmes avec un handicap sont très peu visibles… Et ce n’est pas moi qui le dis, c’est un homme et pas n’importe lequel puisque c’est le Défenseur des droits, Jacques Toubon qui a rendu un rapport en 2016 dénonçant l’invisibilité des femmes dans la société et émettant un certain nombre de recommandations pour changer ce constat. J’ai fait récemment une vidéo où je demandais de taper dans un moteur de recherche « Femmes célèbres handicap » Ce sont surtout des hommes qui sortent…(ndlr : « amusez-vous » à faire cette expérience…) J’ai évidemment conscience qu’être un homme handicapé est déjà très compliqué dans la société actuelle, très axée sur la performance et l’apparence. Mais être une femme et avoir handicap multiplient les difficultés, aussi bien au niveau professionnel que personnel.
Tu as également écrit et publié « Sclérose en plaques et talons aiguilles », de quoi est-il question dans ce livre et pourquoi ce titre là ?
J’avais envie que toutes ces années éprouvantes avec la maladie, les poussées parfois très sévères, l’épuisement, les douleurs quotidiennes, servent et surtout j’avais envie de transmettre aux autres tout ce que la SEP m’a appris !
Depuis 5 ans, j’écris « les Chroniques de Charlotte », sur le site SEP-ensemble.fr, destiné aux personnes avec une sclérose en plaques. Je partage mes conseils, fruits de 24 ans avec une SEP, les outils qui m’aident comme la psychologie positive, l’humour ou la méditation. « Sclérose en plaques et talons aiguilles » a été la suite logique de mes Chroniques et une expérience passionnante et enrichissante.
Je voulais un titre qui éveille l’attention pour sensibiliser à la sclérose en plaques. Il devait me ressembler et j’adore les talons hauts. Je voulais aussi un titre qui casse d’emblée les idées reçues sur la maladie et c’est vrai que la féminité n’y est pas spontanément associée.
Enfin, il y a surtout une histoire derrière ce titre. Il y a 9 ans j’ai eu une hémiplégie et quand la responsable de ma rééducation m’a demandé mon objectif, j’ai répondu nager dans la mer à nouveau et marcher sur des talons hauts. Et je me souviendrai toute ma vie de son regard interloqué et de sa tête…
Pourquoi ? Elle a dû se dire que j’étais en piteux état et j’étais bien loin d’y parvenir. Et j’étais probablement la première à lui donner cet objectif… Évidemment, mon premier achat en sortant de rééducation, a été une paire de talons aiguilles !
Comment t’es venu l’envie d’écrire ce livre et qu’est ce qui t’intéresse à travers l’écriture ?
L’écriture m’a toujours aidée à prendre de la distance et à relativiser les évènements, comme si le papier épongeait mes émotions et ne laissait ressortir que les éléments objectifs. Depuis l’enfance, j’aime écrire, notamment parce que l’écriture m’aide à mieux comprendre mes émotions et à mieux me comprendre. Le diagnostic, posé lorsque j’avais 20 ans, a ravivé ce besoin d’écrire et de mettre à distance la tempête d’émotions qui me parasitait. J’évacuais ainsi l’angoisse qui m’étreignait parfois et je prenais du recul par rapport à ce que je vivais.
Alors que l’idée de normalité construite par la société n’est que le résultat de stéréotypes normés, les injonctions par rapport au corps sont encore très présentes. Quel est ton propre rapport avec ton corps, ta féminité ?
J’en ai longtemps voulu inconsciemment à mon corps de provoquer tellement de douleurs, d’épuisement, de symptômes et poussées… Peu à peu, j’ai compris que c’était mon meilleur allié et qu’il permettait aussi de nombreux plaisirs culinaires, culturels, amicaux, familiaux, sexuels. Désormais, je préfère voir tout ce qu’il me permet encore de faire, et non pas ce que qu’il ne peut plus faire !
Concernant la féminité, la majorité des patients, voire tous, ont besoin de trouver une façon de dépasser la maladie jour après jour. Moi je ne suis ni sportive, ni artiste, je me suis rendue compte que la féminité était mon moyen de lutter contre cette sclérose en plaques, de ne pas la laisser gagner sur ce que je suis, une femme avant d’être une patiente.
Quand mon corps est soigné, mon esprit suit : ma féminité me sert de tuteur, elle m’aide à tenir debout et à me battre contre la maladie. Mais il m’arrive régulièrement de travailler en jeans chez moi ou de traîner en pyjama tout le dimanche ! La féminité ne doit pas être une tyrannie pour les femmes, mais un vrai plaisir. Mais à chacun patient(e) de trouver ce qui lui correspond le plus.
Quelles sont tes autres activités ? quels messages souhaites-tu véhiculer à travers celles-ci ?
Je m’investis dans deux autres associations en lien avec la sclérose en plaques : la Ligue Française contre la Sclérose en Plaques, pour lequel je participe à un groupe de travail sur la SEP à l’Assemblée Nationale, et Sep’Avenir, pour laquelle je suis marraine. Autrement dit, j’accompagne d’autres patients en proie à certaines difficultés, les suites du diagnostic, une exacerbation de la maladie par exemple. C’est extrêmement gratifiant de faire du bien et de se sentir utile… Et le peu de temps qu’il me reste, j’essaie de le consacrer à mes proches !!
Devenez adhérent(e) au réseau Dare Women et participez aux actions, aux événements et aux formations organisés par l’équipe de l’association.