Dimanche 19 Avril, 15h30 – Je n’avais pas vraiment prévu d’aborder la période particulière que ne vivons actuellement, parce que je ne savais pas vraiment comment le faire correctement, parce que j’étais un peu dépassée et si désolée pour tout ça… Et puis, bien que le fait d’être confinée depuis le 15 Mars n’ai pas changé grand-chose à mon quotidien habituel (hormis les contacts extérieurs) où l’ennui n’existe pas vraiment, c’est sans doute sous l’effet du jour 37 de ce confinement strict et seule dans mon chouette appartement, loin de mes proches, que j’ai eu envie et besoin d’aborder tout cela à ma manière.
Marine de l’association M! Your Body propose des dessins thérapeutiques et aime travailler autour de l’acceptation de soi et de son corps. Nous avions en tête depuis un moment un projet commun sur cette thématique et celle du handicap, mais nous ne pensions absolument pas le créer et le réaliser dans le contexte actuel… Et en même temps nous avons vus, entendus, lus, constatés beaucoup de choses qui nous ont attristées, inquiétées, consternées, questionnées, sur les injonctions sociales autour des activités de chacun, du corps, de la féminité, de l’apparence, de la famille, de la productivité personnelle et professionnelle…Je me suis d’ailleurs fait cette réflexion personnelle, à l’heure où être utile à la société signifie apparemment être actif, en bonne santé, en télétravail : Est-ce que moi, trentenaire solo, actuellement sans emploi et bénéficiaire de l’AAH malgré « un profil intéressant », catégorisée « personne vulnérable » par la société, je suis utile à la société, particulièrement en ce moment ?… Sommes-nous uniquement « vulnérables » ou uniquement « utiles » ?
Alors, cette collaboration entre Andy in the City et M! Your Body est un peu notre réponse à tous ces diktats persistants et oppressants et à cette fausse idée que cette crise sanitaire positionnerait tout le monde au même niveau et qu’elle serait « une belle opportunité ». Ce n’est pas vrai. Les inégalités humaines et sociales n’ont jamais été autant présentes et évidentes, les personnes invisibilisées par la société n’ont jamais été autant invisibles, et les discriminations n’ont jamais été autant violentes. Et en même temps nous vivons tous, en ce moment, ce que beaucoup connaissent dans leur quotidien…les contraintes, l’empêchement, la solitude, l’enfermement, mais aussi l’adaptation quotidienne, la solidarité et l’optimisme. Alors oui, cette période nous amène à évoluer et à nous remettre en question personnellement, mais transformer cette crise sanitaire mondiale en une simple » opportunité » serait se moquer de ceux qui travaillent au cœur du chaos actuel et vivent des choses terribles et de beaucoup trop de gens qui en souffrent humainement, socialement, professionnellement et psychologiquement et en sont fatigués.
Marine et moi sommes du genre à transcender nos interrogations, nos révoltes en messages et en actions positives. Nous avions envie, particulièrement en cette période singulière et compliquée, de valoriser les personnes handicapées à travers le témoignage de cinq femmes en situation de handicap sur leur quotidien, leur organisation, leurs difficultés et leurs craintes durant cette crise sanitaire ainsi que sur leur place dans la société aujourd’hui et l’espoir d’une prise de conscience collective autour du handicap dans un avenir proche.
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– Merci à Marine, Lætitia, Cynthia, Jennifer, Amélie et Élodie pour leur participation, leur confiance et leur patience. Ce projet a été entièrement crée et réalisé à distance avec beaucoup d’organisation, de créativité et de patience (et donc de productivité, de télétravail et d’utilité ;))
– Retrouvez l’ensemble des mesures et actions en lien avec le handicap . Merci à tous ceux qui agissent jour et nuit sur le terrain pour que tout tienne le coup. Merci aussi à tous ceux qui s’activent depuis longtemps à essayer de faire bouger les choses et à éveiller les consciences, et qui continueront de le faire aussi longtemps que nécessaire.
– Les illustrations qui accompagnent les témoignages ne sont pas libres de droits et appartiennent à leur auteur et aux personnes à qui elles sont destinées. Toute reproduction ou utilisation sans autorisation est interdite.
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– Lætitia, 30 ans –
« Je m’appelle Lætitia, j’ai 30 ans et je suis malvoyante depuis ma naissance à cause d’une toxoplasmose congénitale. J’ai actuellement 1/10ème d’acuité visuelle à l’œil gauche et 1/20ème à l’œil droit. Depuis un an, je tiens un compte Instagram de sensibilisation sur le handicap visuel @gangdebigleuses et je viens également de créer un blog, Un Dixième, afin d’écrire des articles sur mon quotidien, mes difficultés, mes expériences de jeune femme déficiente visuelle.
Paradoxalement, le début du confinement m’a été salutaire autant mentalement que physiquement. J’ai entamé il y a un an des démarches afin que mon poste de travail soit adapté à mon handicap visuel et autant dire que c’est un chemin du combattant. L’immobilisme administratif, le manque de communication, le non-respect de mes besoins (en plus de mon poste toujours non-adapté) ont fini par me mettre dans un état d’épuisement tel que je ressentais des maux de tête et de dos quotidien. Mon médecin a décidé de me mettre en arrêt de travail 5 jours avant le début du confinement. J’ai pu profiter de cette période pour ne plus penser à rien hormis me reposer et me recentrer sur moi-même, sans travail et sans obligation sociale. Depuis lors, j’ai repris le boulot. J’alterne télétravail, yoga, sport et lecture (beaucoup de lecture). J’apprends à lâcher prise car ma demande d’aménagement et mes projets sont en suspens.
J’aurais tendance à dire que je n’éprouve pas de réelles difficultés pendant cette période particulière, mais en y réfléchissant bien, je ne me rends simplement plus compte de mes difficultés, ou de ce que je mets en place inconsciemment pour y palier, car j’essaie constamment de m’adapter. A titre d’exemple, quand nous allons faire des courses au supermarché avec mon compagnon (j’ai le privilège d’être confinée avec lui), il me communique les consignes écrites sur papier, car je n’ai pas la possibilité de les lire. Si, par contre, je me rends seule dans un magasin, je vérifie toujours sur Facebook si les consignes ont été communiquées en ligne. Quand je suis dans la rue ou dans les transports, seule, il m’est difficile d’évaluer la distance sociale d’1m50, alors je garde de grandes distances, quitte à les exagérer. N’ayant pas de canne blanche, les gens ne rendent pas compte que je suis déficiente visuelle. Je prends donc l’initiative de m’adapter mais cela me demande de redoubler de vigilance.
Et au niveau professionnel… Sortant d’un arrêt de travail à cause d’un poste non-adapté, j’ai ris jaune quand on m’a proposé de reprendre le travail à la maison avec un laptop. Mais il n’y avait pas d’autre choix, alors j’ai bricolé une installation en reliant le laptop à mon propre matériel informatique.
Je me suis toujours adaptée à ce que la société me proposait, et dans cette période particulière c’est encore le cas.
Je n’ai pas encore pensé à « l’après-confinement », cela me semble encore si lointain et abstrait. Mais l’idée de devoir reprendre les transports en commun quotidiennement ne m’enchante pas. Je suis absolument dépendante des services publics, je n’ai pas d’alternative, et je ne peux m’empêcher de les voir comme des lieux à risque. Je réfléchis à demander une prolongation du télétravail, ne serait-ce qu’un jour, voire deux, pour minimiser les déplacements.
En ce qui concerne mon avis sur la place des personnes handicapées dans la société, je n’ai pas l’impression que l’on nous accorde l’entièreté de la place à laquelle nous avons droit. De ce que je constate autour de moi, nous sommes peu engagés, peu soutenu/suivi en ce qui concerne les aménagements au travail, peu représentés dans les médias. Je n’ai par exemple vu qu’un seul article en ligne sur le confinement des personnes déficientes visuelles et il était réservé aux abonnés, donc inaccessible. J’aimerais croire que cette période amène enfin le handicap sur la table et que le sujet devienne une priorité dans les consciences. Qu’elles soient politiques, médiatiques ou autre. Mais vu le florilège de validisme que j’ai lu sur les réseaux sociaux, j’ai des doutes ! Cela dit, j’ose espérer que les entreprises réfléchiront désormais à accorder des jours de télétravail aux personnes malades chroniques où en situation de handicap qui en feront la demande, au lieu de refuser sous de faux prétextes. On a clairement pu constater que le télétravail pouvait être rapidement mis en place ! «
Alors que l’idée de normalité construite par la société n’est que le résultat de stéréotypes normés, les injonctions par rapport au corps sont encore très présentes, d’autant plus depuis le confinement. Quel est ton propre rapport avec ton corps ?
Beaucoup d’éléments et de faits dans ma vie m’ont fait croire que mon corps devait correspondre aux normes pour que je puisse être acceptée. Il fallait que je sois « jolie et mince » pour « compenser mon handicap ». Pendant mon adolescence, j’ai rejeté ces injonctions. J’avais l’impression d’être aussi floue et approximative que ne l’était ma vue. C’est au début de la vingtaine que j’ai commencé a intégré les injonctions. Très souvent on me disait que je n’avais pas « l’air malvoyante ». J’en étais fière, je me disais : « j’ai réussi, je suis comme tout le monde ». Je cachais mon handicap et en parlait peu. Ce n’est qu’assez récemment que j’ai pris conscience que c’était problématique et que je ne voulais plus correspondre à cette norme qui m’invisibilise. Depuis cette prise de conscience, j’ai repris possession de mon corps, je me suis fait tatouer, j’ai arrêté de me maquiller tous les jours et j’ai enfin commencé à aimer un peu plus mon corps. Cela dit, ce n’est pas toujours facile. L’image que je vois de mon corps quand je me regarde dans un miroir est souvent différente de celle que je peux analyser sur les photos. Me voir en photo reste difficile.
La deuxième semaine du confinement, grâce (ou à cause) des réseaux sociaux, j’ai repris le sport de manière plus intense. Ce n’est pas tellement pour avoir un bikini body mais plutôt parce que c’est pour moi l’occasion rêvée d’améliorer ma posture et de renforcer une bonne fois pour toute mon dos qui souffre quotidiennement de ma position devant le PC (je n’arrive pas à lire à plus de 10-15cm de distance). En somme, en ce moment, hormis le sport j’essaie tant bien que mal de laisser mon corps en paix : pas de maquillage, pas de soutien-gorge et pas d’épilation. On s’apprivoise.
– Cynthia, 35 ans –
« Je m’appelle Cynthia et j’ai 35 ans, je suis atteinte de spondylarthrite ankylosante et d’une fibromyalgie depuis 2017. Je suis mariée et maman de trois enfants qui sont nées avant que je tombe malade.
Être atteinte d’une maladie et d’un handicap invisible n’est pas simple à vivre tous les jours. Nous sommes souvent jugés, peu reconnus et pas forcément aidés. La maladie entraîne un handicap invisible au quotidien. Les gestes, le manque de mobilité et de force, la douleur h24 font que notre activité, notre vie est réduite. Mais le handicap devient visible selon les périodes et je me suis retrouvé en fauteuil roulant pendant quelques mois quand la maladie était trop forte, puis j’ai marché avec des cannes et des attelles de toute part. J’apprends à vivre avec elle, on cohabite dans notre espace vital, parfois c’est elle qui gagne et souvent c’est moi. Le handicap, je le gère selon les jours, selon le moment. J’apprends à vivre avec des traitements lourds et des examens réguliers.
Je ne suis qu’au prémices de ma nouvelle vie, j’attends aujourd’hui de pouvoir retrouver une vie active, un travail, un nouvel objectif et surtout arriver à m’adapter à cette vie qui est mienne maintenant.
Étant sous biothérapie, un traitement immunodépresseur et anti-inflammatoire, je reste confinée chez moi pendant cette période particulière car les risques de complications sont très élevés pour moi. Au quotidien, j’ai organisé chez moi mes séances d’exercices que je pratique avec mon kinésithérapeute habituellement. C’est compliqué et les douleurs sont plus fortes. L’ankylose est un peu plus présente, mais j’essaye au maximum de maintenir la stabilité de ma maladie. La spondylarthrite ankylosante est une maladie contradictoire, où il faut absolument bouger pour éviter le pire mais où trop bouger est très dur, trop douloureux.
Actuellement, les rendez-vous avec les médecins se font par téléphone ou visioconférence. J’ai dû me déplacer pour un seul rendez-vous très important, le médecin m’avait donné des indications strictes : porter un masque, porter des gants, l’attendre devant la porte d’entrée à l’heure pile, ne rien toucher et ne pas entrer dans la salle d’attente. Socialement, je ne rencontre pas plus de difficultés dû à l’isolement du confinement, car depuis que je suis malade il faut bien avouer que c’est un peu mon quotidien. Mais j’ai la chance d’avoir mon mari, mes filles et, en temps normal, des parents extrêmement présents.
Je pense qu’en tant que personne malade immunodéprimés l’avenir sera différent pendant un petit moment. Des précautions seront prises et je vais les respecter. Je n’ai pas forcément peur, mais je serais extrêmement prudente il faut bien avouer que c’est quelque chose que je fais depuis le début de mes traitements car le moindre truc pour nous peut devenir très rapidement de grosses complications.
En ce qui concerne mon avis sur une prise de conscience collective autour du handicap après cette période particulière, je suis partagée… Je ne pense malheureusement pas que les gens changent, ils repartiront dans leur quotidien ! Je vois bien qu’en cette période où nous sommes privés de soins, rien n’est fait pour qu’on aille mieux. L’individualisme entraîne cela mais j’ai toujours confiance en la vie, peut-être que les consciences seront touchées et certaines choses évolueront. Je pense que les gens ont un regard sur le handicap assez différent. Il y a ceux qui ont plutôt de l’empathie, de la peine, voire de la pitié et il y a ceux que ça ne touche pas. Il y a ceux qui jugent, qui ne comprennent pas et qui parlent sans savoir, connaître ou mesurer l’ampleur de ce que c’est de vivre avec un handicap, qu’il soit visible ou invisible. »
Alors que l’idée de normalité construite par la société n’est que le résultat de stéréotypes normés, les injonctions par rapport au corps sont encore très présentes, d’autant plus depuis le confinement. Quel est ton propre rapport avec ton corps ?
Mon corps est celui qui m’a tant donné et tant repris. J’ai donné la vie et j’ai eu l’impression qu’il prenait la mienne. Quand je suis tombée malade, j’ai perdu toutes mes forces, mes courbes, mes muscles, ce corps ne me portait plus. Je l’ai vu se dégrader sans pouvoir bouger. Je l’ai très mal vécu, j’ai détourné mon regard tant de fois, je ne m’aimais plus.
Aujourd’hui il se bat avec moi chaque jour, pour me porter à nouveau, pour ressembler à cette nouvelle femme. Alors je commence doucement à le regarder de nouveau avec amour, mais rien n’est gagné.
J’aimerais terminer en disant merci de m’avoir laissé la parole, merci à tous ceux qui sont présent pour nous.
– Jennifer, 42 ans –
« Je m’appelle Jennifer, j’ai 42 ans, je suis mariée et maman au foyer de deux garçons de 13 et 8 ans. Je suis atteinte d’une maladie congénitale qui atteint la moelle épinière appelée le Spina Bifida.
Je suis la créatrice et présidente de l’association ParHanDifferemment depuis 2017. Cette association a pour objectif d’accompagner et de conseiller les personnes en situation de handicap moteurs, sensoriels et atteintes de maladies invalidantes dans leur projet d’adoption en France ou à l’Étranger. Je suis aussi correspondante départementale au sein de l’organisme Enfants en Recherche de Famille qui œuvre pour les enfants aux besoins spécifiques pour leur trouver une famille adoptive. Je suis l’Auteure du livre Avec maman tout roule, qui paraîtra dans quelques mois aux Éditions La route de la Soie. Je travaille principalement de chez moi à 90 % du temps. En cette période particulière, mon organisation quotidienne n’a été que peu impactée, à l’exception de la gestion de la continuité pédagogique de mes enfants. Je gère mes rendez-vous et mes différents entretiens par mail, par téléphone et via les réseaux sociaux.
Actuellement, les difficultés que je rencontre sont, bien sûr, que je ne puisse plus me déplacer ni recevoir les personnes dans mon cercle associatif, amical ou familial. Heureusement une partie de ma famille vit dans la même commune que moi. Je n’ai pas la sensation que le fait que je sois handicapée change quelque chose au confinement, je me sens impactée comme tout un chacun. Certes je ne prends pas ma voiture autant qu’avant mais comme beaucoup de personnes.
J’ai l’espoir que mon quotidien retrouvera rapidement un rythme plus actif comme je l’aime, tout en étant consciente qu’il faudra du temps et que des changements sont inévitables. Handicap ou pas notre vie sera différente après le confinement.
J’envisage de reprendre petit à petit les mêmes activités qu’avant, j’ai dû arrêter de me rendre à la salle de sport, comme je le faisais 4 jours par semaine, et de me déplacer à mes rendez-vous privés ou associatifs. Je me sens davantage préoccupée par les personnes qui sont actuellement » au front » ou qui sont atteintes par ce virus et également par la problématique de la reprise de l’école.
Concernant mon avis sur une prise de conscience collective autour du handicap après cette période particulière, peut-être qu’effectivement le fait que tout le monde soit également confiné va permettre aux gens de mieux comprendre ce que certaines personnes handicapées vivent au quotidien. Peut-être que les préjugés sur les personnes handicapées vont diminués, car chaque situation de handicap est différente. D’un autre côté, il y a aussi des personnes qui ne pensent pas du tout à tout cela, préoccupées par leur propre vie transformée par le confinement. »
Alors que l’idée de normalité construite par la société n’est que le résultat de stéréotypes normés, les injonctions par rapport au corps sont encore très présentes, d’autant plus depuis le confinement. Quel est ton propre rapport avec ton corps ?
Je pense être comme beaucoup de femmes handicapées ou non, j’ai des complexes (mes bourrelets de femme, la forme de mes pieds (pieds bots) me complexent également) mais j’ai la chance d’être entourée de personnes bienveillantes et à mon âge je suis consciente de la réalité des choses sur la représentation du corps et les normes sociétales.
J’ai malgré tout, toujours fait plus ou moins attention à mon apparence. Je suis d’un naturel coquet et j’aime les vêtements et l’esthétique. Cependant je dois bien avouer que l’arrêt du sport en salle, le confinement, et les apéritifs avec mon mari vont me valoir quelques kilos en trop bien mal placés. La reprise en main va s’avérer nécessaire, lors du déconfinement, si je veux conserver mon autonomie et mon indépendance.
– Amélie, 19 ans –
» Je m’appelle Amélie, j’ai 19 ans et demi. Je suis actuellement en première année de BTS Gestion de la PME. Et je suis atteinte d’une maladie génétique, l’Amyotrophie Spinale Infantile de type 2. Elle s’est déclarée à l’âge de 9 mois chez moi. Depuis quelques mois, je parle de mon quotidien avec mon handicap,mes difficultés, mes passions, mes opérations sur mon compte Instagram (@lilymazenc). J’ai envie de sensibiliser les gens pour montrer que, malgré tout, mon quotidien reste ordinaire et je suis surtout heureuse de vivre !
Cette période particulière est inédite pour tout le monde et je le vis plutôt bien même si l’isolement me pèse beaucoup. J’ai de la chance d’avoir mes parents et mon frère avec moi mais rester enfermée est difficile malgré tout. Je me suis organisée du mieux que j’ai pu avec mes parents puisque j’ai été déscolarisé le jeudi avant le confinement de la population. Je récupère mes cours, j’écoute beaucoup la musique car c’est mon échappatoire et ça me permet de m’évader un peu. Je profite de mes proches aussi (mes parents et mon frère). Je ne pensais pas que la rupture de lien social me manquerait autant. Je savais que c’était important mais c’est mon plus gros manque en ce moment. Et j’ai hâte de retrouver mes amis et faire des sorties avec eux et ma famille. Je vais craindre de reprendre une vie normale, de l’attraper et évidemment de risquer ma vie mais je prendrais les précautions nécessaires pour reprendre ma vie et continuer à vivre pleinement comme je l’ai fait jusqu’à présent.
Concernant mon avis sur la place des personnes handicapées, je pense que chaque personne a une place à prendre dans la société. Nous vivons dans une société où nous devons rentrer dans des cases. Nous sommes tous différents et un handicap ne doit être une barrière pour personne. Je pense que le confinement peut montrer aux gens que nous sommes tous égaux, handicap ou pas.
Alors que l’idée de normalité construite par la société n’est que le résultat de stéréotypes normés, les injonctions par rapport au corps sont encore très présentes, d’autant plus depuis le confinement. Quel est ton propre rapport avec ton corps ?
Mon rapport avec mon corps est particulier car je m’assume complètement et pleinement depuis ma majorité à peu près. J’ai pu faire des shootings photo avec plusieurs photographes pour montrer qu’un modèle photo peut aussi être différent, et même en fauteuil. Le handicap n’est pas une fin en soit. Il ne nous empêche de nous trouver belle, sexy, féminine…Nous sommes des femmes avant tout et nous avons les mêmes envies que les autres. L’intimité et le sex-appeal existent aussi pour nous. Alors oui je suis une femme handicapée mais je suis avant tout une femme comme les autres avec un corps atypique. Aujourd’hui j’assume mon corps particulier et mon handicap à 3000%.
– Élodie, 37 ans –
« Je m’appelle Élodie, j’ai 37 ans. Je suis atteinte d’une maladie neuromusculaire évolutive qui m’a fait perdre petit à petit la marche et de la force musculaire. Je suis depuis en fauteuil roulant électrique de manière permanente. Au niveau professionnel, je suis diplômée architecte et travaille à temps plein depuis 14 ans déjà. Ce n’est pas tous les jours facile de bosser et de se soigner en même temps mais c’est un choix que j’ai fait, cela compte beaucoup pour moi d’être active et me sentir utile dans quelque chose. Sinon, dans la vie perso, j’ai ouvert, il y a plus de dix ans, mon blog « Ma vie, mon handicap, mes emmerdes« , puis mon compte Instagram (@mVmHmE) pour partager mes états d’âme par rapport à la maladie, le bon et le moins bon, mes p’tits bonheurs et mes créations (origamis, broderie, aquarelle, etc.…). Cela m’a beaucoup aidée dans la façon d’accepter ma maladie et mon quotidien.
J’avoue avoir eu du mal à vivre le début du confinement car je suis dépendante à 100% au quotidien de l’aide d’auxiliaires de vie et être contrainte de maintenir ces aides alors qu’il fallait s’isoler des autres pour se préserver du virus a été très dur à accepter. Pour être tout à fait honnête, cela m’a terrorisée ! Le prestataire ne mettait aucun matériel à leur disposition pour se protéger et ME protéger… J’ai une capacité respiratoire faible et suis donc considérée comme personne fragile et à risques dans cette période de pandémie. Petit à petit, j’ai trouvé des solutions par moi-même pour me protéger, c’est moi qui mettais le masque et je leur fournissais des gants. Je me suis sentie un peu plus sereine tout en gardant de grosses angoisses d’être contaminée.
Sinon côté activités, je ne m’ennuie pas du tout et je suis même contente de réussir à nouveau à consacrer du temps à mes créations qui m’occupent bien les mains et l’esprit (je pense moins grâce à cela !).
En revanche, oui je rencontre des difficultés. Tout d’abord au niveau professionnel, malgré le fait que je bénéficie du télétravail au domicile, je dois dire qu’il est devenu difficile pour moi au fil des semaines de continuer à trouver la force de travailler. Cela ajoutait du stress sur du stress. Car gérer mon quotidien de personne dépendante en devant m’inquiéter en permanence de l’état de santé de mes aides, de leur remplacement, de m’assurer que tous les gestes d’hygiène soient respectés pour ne pas attraper le virus occupait toute la place dans mon esprit. J’ai donc à regret dû demander à ma cheffe de m’autoriser à ne plus travailler le temps de reprendre des forces, j’ai eu la chance qu’elle comprenne et me libère. Mais j’avoue ne pas avoir bien vécu cette décision… même si je sais qu’elle était nécessaire. Au niveau médical, le confinement a fait que l’ensemble des mes rendez-vous hospitaliers a été suspendu, notamment mes perfusions d’antidouleurs que je fais une fois par mois et donc… j’ai eu la « joie » d’être confinée avec le retour de mes douleurs… pas facile mais de toutes façons, il était hors de question de prendre le moindre risque en me rendant à l’hôpital ! J’ai donc pris mon mal en patience… Le plus difficile pour moi est le manque de ma famille et mes proches, mes collègues. Être enfermée n’est pas un problème pour moi, mais ne pas pouvoir approcher les gens que j’aime et qui m’aident à trouver la force de me battre chaque jour est une torture. Heureusement qu’il existe des moyens de communiquer et de se voir à distance ! Mais ce n’est quand même pas la même chose…Concernant le « fameux » déconfinement attendu, il me cause bien des angoisses… Je me suis préparée dès les premières semaines du confinement à l’idée que je ne pourrai malheureusement pas me déconfiner en même temps que les autres. Étant malade chronique, je vais devoir prolonger cette situation de confinement et de précautions plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour me préserver du risque de l’attraper. Là où certains trouvent du réconfort dans le 11 mai, moi je l’appréhende énormément. Parce que finalement, le risque pour moi d’attraper le covid-19 est encore plus important. Même si je reste strictement confinée chez moi, le risque existe à travers chacune des aides qui vient m’aider plusieurs fois par jour. Elles vont elles-mêmes être au contact de davantage de monde, ce qui représente autant de risques en plus de me ramener le virus à la maison…Je ne sais pas encore trop comment je vais gérer ça dans les semaines à venir : vais-je oser aller me balader dehors ? Vais-je quand même retourner un peu dans ma famille en prenant des précautions ? Quand vais-je pouvoir reprendre mes consultations médicales à l’hôpital ? Vais-je être rassurée d’y retourner ? Je ne sais pas.
En ce qui concerne mon avis sur une prise de conscience collective, cette question, je me la pose souvent. Je pense que les lignes avancent, petit à petit. Mais que beaucoup reste encore à faire… en termes d’accessibilité à tous les handicaps dans les espaces publics, les transports, l’école, l’emploi. En terme de sensibilisation des autres à la différence, à la maladie et au handicap, je trouve que de manière générale cela repose beaucoup sur nos épaules à nous, personnes concernées. Il n’y a qu’à voir le nombre de comptes qui se créent sur les réseaux sociaux ces dernières années par les personnes malades et/ou handicapées qui racontent leur histoire, qui cherchent à sensibiliser à telle ou telle pathologie et ses contraintes. Je trouve cela plutôt chouette mais je pense aussi que ces messages devraient davantage être portés par le gouvernement pour toucher plus de monde et nous donner une meilleure visibilité. Une vraie place de citoyen français.
Dans cette période de confinement, je vais être moins positive car je trouve que nous sommes les « oubliés » des discours portés par le président, par le premier ministre ou bien même le ministre de la santé. On parle énormément des personnes âgées, qui sont évidemment très fragiles face à ce virus. On parle à juste titre des soignants, de toutes ces personnes, qui donnent tout de manière incroyable pour nous sauver, nous aider. Mais quand parle-t-on du handicap, des personnes malades chroniques ? Quand parle-t-on de ce que cela représente de vivre ce confinement quand on a déjà un quotidien extrêmement contraint ? Pourquoi dire dans les discours qu’il ne faut absolument pas interrompre les soins, alors que l’on sait parfaitement que c’est impossible ? Quand parle-t-on des personnes dépendantes et des aides à domicile qui continuent elles aussi de travailler pour nous permettre de nous lever le matin, etc. ? Pour exemple, il aura fallu plus de 6 semaines de confinement avant de pouvoir accéder à des masques pour les aides à domicile. CQFD ?
Alors que l’idée de normalité construite par la société n’est que le résultat de stéréotypes normés, les injonctions par rapport au corps sont encore très présentes, d’autant plus depuis le confinement. Quel est ton propre rapport avec ton corps ?
En toute honnêteté, j’ai énormément de complexes avec mon corps. Ne plus jamais voir mon corps debout me pèse, je voudrais être plus mince par exemple mais je dois faire avec. J’essaie donc de porter de jolies tenues, de jolies coiffures, du rouge à lèvres, des boucles d’oreille et je me trouve déjà plus à mon goût ! Cependant, je ne me sens pas vraiment concernée par la pression émanant des réseaux sur le fait de ne pas prendre trop de poids pendant le confinement, de faire du sport, etc. je ne peux pas en faire de toutes façons ! Plus sérieusement, je dirais que j’ai déjà, en temps normal, l’habitude de faire pas mal attention à ce que je mange car, comme je suis en fauteuil, tout ce que je mange me profite et j’ai tendance à prendre du poids. Je crois même pouvoir dire que depuis le confinement, je n’ai jamais autant cuisiné du fait maison, des plats plus équilibrés. Je crois surtout que chacun fait bien ce qu’il peut pour traverser cette épreuve difficile et inédite !