Jeudi 29 Octobre, la France se voit à nouveau confinée pour la seconde fois, sans réelle surprise. Toutefois les règles, le contexte, l’état d’esprit général, cette fois, sont différents en cette fin d’année. Si pour le premier confinement les injonctions sociales (autour de la productivité, de la famille, de l’apparence, de la féminité…) n’ont jamais été aussi présentes, pour ce deuxième « semi-confinement » c’est la notion de « personne essentielle » qui a occupé tous les esprits et les débats publics, ajoutant de la morosité et de la frustration au climat déjà bien anxiogène.
Si vivre avec un handicap au quotidien, c’est, de fait, faire preuve d’une immense capacité d’adaptation et de résilience c’est aussi avoir l’habitude de vivre ce sentiment injuste d’invisibilisation, d’isolement et de privation de ses libertés. C’est devoir composer avec cela chaque jour dans sa vie quotidienne pour se sentir vivant le plus possible, malgré tout.
Alors pour tenter d’être, aussi, un minimum essentielles en cette période et continuer à porter nos convictions, Circée, Marie-Jo et Eva ont acceptés de témoigner de leur quotidien et de leur vision de la situation actuelle.
« Je m’appelle Circée, 39 ans, je suis escrimeuse de haut niveau, j’ai une sclérose en plaques depuis 13 ans, j’écris des articles, des témoignages, des histoires pour différents sites et blogs. Je ne me promène jamais sans son destrier à roues. Déjà un joli petit CV !
Lors du premier confinement, j’ai été malade dès la deuxième semaine et pendant près d’un mois et demi. Cette infection respiratoire a été diagnostiqué au départ comme Covid, puis deux mois après, la sérologie étant négative, je ne sais pas avec certitude ce que j’ai eu…
Ce qui est sûr c’est que cela m’a laissée beaucoup de séquelles et a grandement diminué mon état général. Cette expérience a automatiquement modifié mon rapport à cette épidémie mondiale et à ce nouveau confinement.
Déjà, j’étais très méfiante et ce même avant les annonces gouvernementales. J’en ai vraiment bavé alors même si j’ai revu mes proches durant l’été, tout le monde (ou presque) faisait attention. Devoir à nouveau m’isoler chez moi m’a, en réalité, ôté un poids. Personne pour me dire, « non mais t’exagère » ou « on respecte les gestes barrières donc c’est bon, ça ne risque rien ». Plus d’efforts à faire pour sortir de chez moi.
Est-ce que mes proches me manquent ? Je vis en couple du coup je ne vis pas seule et les liens sont maintenus que ce soit avec mes amis ou ma famille par téléphone, Skype…
Certainement que mon côté solitaire m’aide à ne pas souffrir de la situation ainsi que tous les apprentissages que j’ai fait au cours des 13 ans de maladie. J’ai aussi eu la chance de pouvoir continuer mon suivi psychologique, ma préparation sportive et mentale par visioconférence.
Cependant, ces confinements ont eu des conséquences que je n’avais pas vu venir et qui, je crois, sont en fait très positives. J’ai eu le temps de me plonger dans ce qui me fait du bien, me fait grandir sans me donner l’impression de devoir me battre à chaque milliseconde. J’ai aussi compris que je ne me sentais pas plus à ma place dans la case « handicapée » que dans la case « valide » ou dans n’importe quelle case.
Auparavant, je souffrais beaucoup des commentaires ou insinuations du genre « non mais toi ton handicap il est facile », ou « ce n’est pas pareil tu ne peux pas comprendre, c’est facile pour toi ». J’étais touchée profondément car ça venait de personnes handicapées elles-mêmes. Et de l’autre côté évidemment, j’étais une personne handicapée dans un monde de personnes dites valides. Aujourd’hui, je suis en train de faire la paix avec ça. Je suis handicapée mais je suis aussi heureuse, j’ai un handicap visible et des handicaps invisibles.
Je voyage à travers le monde (enfin avant !) et physiquement j’en prend un coup à chaque fois, je suis sportive et j’ai un corps qui ne suis pas toujours… Cela fait un peu plus de deux ans que j’ai appris à aimer mon corps. Il n’est pas parfait mais je le remercie à chaque instant de me permettre d’être en vie et de toujours trouver une solution pour avancer même quand rien ne va plus.
C’est avec mon esprit que j’ai du mal à faire la paix. Je ne me trouve pas assez parfaite, assez intelligente, assez militante, assez réactive…
Lors de cette crise sanitaire, je pense qu’aucune individualité n’a été prise en compte et ce depuis le début. Les personnes handicapées en bavent et il y a eu des reculs nets notamment par rapport à l’accessibilité. Au-delà du handicap également, les personnes sans papiers et sans domicile fixe se retrouvent dans une situation encore plus précaire qu’avant. Les étudiants n’ont plus de contact avec leurs pairs ce qui à cet âge est réellement formateur…
Beaucoup de choses me dérangent dans la société que ce soit dans la gestion de la part des personnes qui nous gouvernent ou dans nos comportements (la surconsommation, le manque de tolérance, l’absence de conscience écologique…).
Je n’ai aucune idée si cette année 2020 aura permis une prise de conscience générale par rapport aux personnes handicapées ou à n’importe quel autre problématique.
Par contre, je suis sûre qu’on aura été nombreux.ses à se remettre en question, à interroger notre monde et notre fonctionnement. Est-ce que ça apportera des changements sur le long terme ?
Je n’en ai fichtre aucune idée, rendez-vous dans 30 ans, il y aura bien un sociologue pour avoir analysé l’impact réel de cette période !
Pour autant et malgré tout ce que j’ai dit, je ne me reconnais dans aucune forme de militantisme et surtout je n’ai pas le courage ni l’énergie mentale pour en faire.
J’essaie déjà de porter et d’être en accord avec mes valeurs dans ma vie de tous les jours, dans mes rencontres, mes choix…
Alors non, je ne vis pas chez les Bisounours, j’ai conscience de tout ce qui ne va pas dans le monde mais je m’applique aussi à voir tout ce qui est beau : un paysage enneigé, les initiatives nées du confinement, l’amour des gens qui me sont proches, mon fauteuil roulant qui me permet d’avancer… La phrase qui m’accompagne même si elle n’est pas simple à appliquer tous les jours : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » – Gandhi. »
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« Je m’appelle MiJo (On m’a appelée Marie-Joséphe :/ ce qui ne m’a jamais emballé :D, surtout qu’à 14 ans je suis devenue définitivement athée… alors comme on ne m’a jamais appelée que par mon surnom on va continuer !), j’ai bientôt 77 ans et bien qu’étant à la retraite depuis 17 ans, je suis surbookée en permanence (très classique). Même si je suis sédentarisée depuis des décennies par ma Fibromyalgie, par Internet je fais le tour du monde tous les jours le plus souvent en anglais. Mes centres d’intérêts sont divers et variés : je suis passionnée par les jeux vidéo depuis 1992 ce qui m’a fait devenir, avec le temps, une « senior gameuse » ou « silver geek » au choix. A ce titre, je suis devenue l’une des ambassadrices de l’Association Silver Geek qui diversifie ses activités de gaming pour les personnes âgées. Mon rôle, outre un peu de coaching dans l’organisation de l’asso, est de faire des démos de jeux sur Youtube afin d’observer mes réactions et mes limites de sénior devant tel ou tel jeu. Je vais donc participer à des podcasts, des lives et du streaming sur ce thème bientôt et apprendre plein de choses. Et ça demande une sacrée organisation !
J’ai une autre passion : la Corée du Sud avec tout ce qui va avec. Ces deux passions me font surfer sur les relations intergénérationnelles avec bonheur et j’ai des potes de tous les âges, (entre 12 et 30 ans, dont certains aimeraient bien avoir une grand-mère comme moi :D)
Dans cette optique, je donne des cours de conversation française à deux étudiants, avec l’association ShareAmi, qui relie des personnes françaises avec des étudiants étrangers qui apprennent le français pour venir faire leurs études ici. Ça booste le quotidien, ça et ça maintient un certain niveau de culture avec entraînement cérébral garanti que je retrouve également dans ma pratique des jeux vidéos. Et tout ça, sans bouger de mon fauteuil, même si je peux faire 20 mètres à pieds, au fin fond de la campagne du Morbihan. Avec une envie d’apprendre tout le temps, découvrir, observer, échanger et transmettre le peu que j’ai appris de ma propre expérimentation de la vie.
Comme, en France, la Fibromyalgie est dans une grande errance depuis des années, surtout dans le milieu médical ou dit « éclairé », je fais de la recherche médicale sur ma propre pathologie depuis 37 ans. Parallèlement, je suis thérapeute de formation Naturopathie Holistique et bio-énergéticienne depuis 25 ans encore un peu en activité, donc je me suis concocté à moi-même un protocole sur des bases naturelles qui ont réduit mes douleurs de 80% en statique au moins. Je ne me réveille plus le matin avec comme sensation première un terrible mal-partout, et c’est sacrément appréciable ! Alors, je pense être sur la bonne voie…le problème est que je ne vais pas pouvoir continuer cette recherche sans aides. Malgré les multiples tentatives pour trouver un ou des médecins qui reprendraient le flambeau, on me prend pour une personne pas fiable parce qu’isolée et autodidacte (et pourtant, je base mon raisonnement sur des recherches américaines tout à fait sérieuses avec des contacts directs)
Ma sédentarité depuis des années m’a appris un certain confinement avec une organisation pour mon approvisionnement et mes déplacements déjà bien rodée. De plus, je vis à la campagne donc, pas d’impact sur la possibilité de m’aérer quotidiennement sans me mettre en danger. Je sors moins mais je vois toujours autant de monde, mes voisins tout à côté, mes aides. Ma famille est loin et mes amis de mon âge sont trop loin pour venir me voir…mais je suis constamment connecté à Internet avec un peu plus de visios, de lives…. Et finalement, je vois plus de gens, je fais plus de rencontres à travers le monde. Quand je sors, j’ai toujours de l’aide et je mets mon masque, je me lave ou désinfecte mes mains et ça roule. Je ne rencontre pas de difficultés particulières. Je vois mon médecin traitant en visio deux fois sur trois, ce qui est moins fatiguant pour moi, et soit j’ai un voisin ou une aide qui passe récupérer mes médicaments et le tour est joué. On me rend service mais j’aide aussi beaucoup, à ma manière avec un mot de gentillesse ou une bonne séance de réconfort avec mes bonnes techniques de soutien, une disponibilité d’écoute permanente… mes journées sont bien remplies !
Aider les gens à s’organiser dans les perturbations qu’ils subissent à cause de cette folie, leur redonner espoir et confiance, c’est un peu ma place dans le monde et depuis mon bon petit fauteuil ergonomique bien confortable. Tous les moyens de communication sont bons à notre époque. De plus, ma situation un peu atypique de « mamie gameuse » a attiré l’attention des médias sur ma petite personne pour montrer comment je gère mon quotidien et les avantages que je retire à jouer aux jeux vidéos.
Concernant la prise en compte et prise en charge du handicap, en temps normal elle laisse beaucoup à désirer à tous les niveaux : aménagement urbain et dans les commerces, administrations et bâtiments en général, emplois, accompagnement et financement des aides, et je n’ai pas tout en tête… Alors cette crise n’arrange pas les choses repoussant aussi aux calendes grecques toutes ces demandes pourtant tellement légitimes.
Dans mon tout petit coin, je participe avec l’association « Voyageons avec Mina » à un projet de voyage en Corée du Sud, pour aller apporter des témoignages aux personnes handicapées coréennes, (dans la rue et dans les médias) sur ce qui se passe pour nous. L’objectif est d’aider à changer le regard des autres sur le handicap à travers notre voyage et notre dynamisme, ce qui est d’ailleurs une des actions menées par les personnes handicapées coréennes elles-mêmes. Enfin, un sacré challenge qui nous booste tous !
Les personnes handicapées doivent impérativement trouver une place normale dans nos sociétés, même si elle doit être adaptée par moment. Certaines entreprises se sont rendu compte de l’importance de leurs actions et de leur utilité en favorisant l’inclusion. Mais celle-ci est souvent plus efficace avec une adaptabilité plus importante, un meilleur état d’esprit et une amélioration de l’ambiance au travail.
De là à penser que la crise actuelle fasse évoluer les consciences (que ce soit au sujet du handicap ou toute autre circonstance de la vie), pour ça je reste pessimiste.
Pour terminer sur une note plus positive, il faut continuer à faire comprendre et démystifier voire dédramatiser le sujet auprès de nos concitoyens, modifier leur regard envers nous, les informer pour éradiquer la peur que nos handicaps engendrent chez eux. Et pourquoi pas le faire en chantant, en riant et en jouant ! »
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« Je m’appelle Eva, j’ai 22ans et je suis handicapée moteur. Au niveau cognitif, ça pêche un peu si je me concentre trop longtemps.
J’avoue ne pas trop mal vivre ce deuxième confinement puisque mon centre de rééducation reste ouvert et j’ai l’habitude du quotidien ralenti depuis 4ans. Cependant, la culture me manque. J’avais pris un abonnement au théâtre et j’ai déjà raté pas mal de spectacles… Mon stage dans un cabinet vétérinaire est tombé à l’eau et m’a démotivé de mes études à distance.
J’évite de sortir de chez moi et je ne vois plus mes amis. Les appels vidéos ne remplacent pas les bises ou les étreintes… Le contact humain me manque, les gens sont méfiants et égoïstes. Il n’y a plus cette chaleur, bonté en plus en cette période de fêtes de fin d’année… Il y a de quoi déprimer !
Évidemment, avec cette méfiance, les gens s’en fichent du handicap. Il faut aller vite, éviter tout contact alors on me double/bouscule d’où cette envie de rester chez moi. Pour autant, les événements virtuels m’ont permis de faire de nouvelles choses. Pas besoin de se déplacer, de dormir loin de chez moi. J’ai pu assister à un concert d’un de mes artistes préférés couchée dans mon lit, un spectacle de danse à l’opéra de Paris, des conférences… J’espère que ce genre d’initiatives perdurera post Covid !
Je ne sais pas si cette période particulière pourra entraîner une prise de conscience collective. Je trouve l’idée utopique puisque je trouve les gens plus égoïstes qu’avant… »