Alice Delaroche est une jeune mannequin professionnelle de 27 ans, atteinte du syndrôme d’ Ehlers Danlos, dont le parcours professionnel et personnel n’a pas toujours été simple. Entretien d’une sincérité et d’une vérité rare et importante, avec cette jeune femme passionnée, créative et combative.
– Bonjour Alice, pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ?
Je suis une jeune femme de 27 ans, mannequin professionnelle d’agences sur Paris, ancienne maître en droit de l’environnement, graphic designer, créatrice « Absynthia Creations » et Miss niveau nationale et internationale pour la France. Mon parcours n’a jamais été simple même maintenant. J’ai voulu faire au départ du mannequinat pour faire de mon corps une fierté lorsque les médecins m’ont annoncés que j’étais atteinte d’une maladie rare génétique et incurable : le Syndrome d’Ehlers Danlos.
C’était un moyen de thérapie. Une revanche contre la Nature et le regard de la société qui avait changé et ne me considérait plus comme une jeune femme mais comme une handicapée, une malade.
C’est aussi un moyen de vivre par procuration, d’avoir un travail, là où il est possible durant quelques heures de masquer son handicap et les maladies rares comme beaucoup d’autres mannequins le font.
J’ai fait en parallèle des études de droit. Je les ai terminées avec prix lauréate à la Sorbonne. Et puis, j’ai compris que l’on ne me pardonnerait pas mon handicap même avec de tels résultats. Harcèlement moral et physique au travail, licenciement illégal, lettres de dirigeants ouvertement discriminatoire face à mes candidatures etc… « Ce n’est pas le visage de l’Ordre des Avocats que nous voulons montrer », « On ne peut vous accepter dans un poste que par pitié », « Il faut bien présenter tout de même dans ce métier », « On n’aurait jamais du laisser des gens comme vous étudier » etc…
J’ai finalement fait une reconversion professionnelle dans le graphisme et le motion design pour créer moi-même mon emploi. Malgré tout cela je me sentais coupable. Coupable d’avoir vécu tout cela avec le handicap et de ne rien changer pour les autres.
C’est alors que j’ai décidé de lier la mode, l’esthétique, le spectacle avec l’engagement associatif et le temps de parole : les concours de Miss.
– Depuis combien de temps faites-vous des concours de beauté et du mannequinat ? Qu’est-ce qui vous plait dans ce domaine et qui vous a donné envie d’en faire votre activité principale aujourd’hui ?
Je fais du mannequinat de manière professionnelle depuis maintenant 5 ans et demi. Les concours de beauté ne sont venus après, il y a 2 ans. L’attrait pour ces deux domaines est différent. Dans le premier je m’épanouis dans un art, un spectacle (défilé), je m’apprivoise en tant que femme, j’apprends de nouveau à m’aimer pour ce que je suis. Dans le second, j’utilise mon courage et mes forces pour espérer donner espoir autour de moi, changer le regard sur le handicap et convaincre les comités de Miss de faire grandir leurs objectifs vers quelque chose de plus humain et d’engagé socialement.
Cela me permet aussi de participer à des événements incroyables comme « La Nuit du Handicap » (événement associatif national), de rencontrer des associations et d’agir concrètement autour de moi.
– Quels sont les concours de beauté auxquels vous avez été élus ? Qu’est-ce que cela signifie et évoque pour vous ?
En 2018, j’ai été élue « Miss Originale France 2018/2019″ (en proposant le handicap comme originalité au même titre que les petites tailles ou les femmes rondes). La même année j’ai été remerciée par le Comité Miss Originale du Nord par un titre à vie » Miss D’Honneur » me permettant de continuer mes engagements associatifs sans limite de temps.
Fin 2018, j’ai été nommé « Finaliste de Miss International France » (4eme concours mondial) avec le prix du Public. Toutefois je ne l’ai jamais reçu. Je ne regrette rien, j’ai refusé d’avoir honte de mon handicap lorsque l’on m’a retorqué à huit clos que « la canne était dommage ». Mon handicap était un frein pour eux. Le Public m’a remercié en prouvant que ce n’était pas le cas. Cela devrait être une fierté.
En juillet 2019, j’ai été élue « Face of Beauty France International 2019 » par le comité de Sonia Mansour, qui s’occupe aussi de Miss Grand France (3eme concours mondial). J’aurais donc l’honneur de représenter la France aux Philippines à la finale mondiale en Novembre. Toutefois le voyage n’a pas pu être pris en charge par le tout jeune comité. Je redouble donc d’efforts pour obtenir assez de sponsors et partenariats pour atteindre la cagnotte du billet d’avion de 573 euros. Si cela se fait, ce sera la 1ère fois que la France envoie à l’international une représentante avec un handicap physique lourd au même titre que les autres jeunes femmes !! J’espère donc y arriver et utiliser cette scène médiatique dignement et avec honneur pour nous toutes.
– Quels messages souhaitez-vous transmettre véhiculer à travers votre passion ?
Je souhaiterai simplement changer le regard de la société sur le handicap. Le plus dure n’a jamais été pour moi d’accepter de souffrir 24/24, de perdre la mobilité de mon corps petit à petit, de me luxer toutes les articulations du corps au fur et à mesure… ça été votre regard !!
Je ne pensais pas avoir changé. Je suis toujours là même. Mais les comportements autour de moi ont changés.
Soyons humain. Restons dignes. La peur n’a jamais été une honte. L’agressivité, la violence, le mépris et la discrimination, oui.
Nous avons nous aussi des familles, des enfants, des maris, des femmes, des envies, des passions… comme les autres. Nous sommes simplement différents. Comme chacun de vous.
Je souhaiterai aussi alerter le public sur les maladies rares notamment le Syndrome d’Ehlers Danlos qui, à défaut de reconnaissance médicale uniforme, d’attention du public, n’est toujours pas soigné et est même souvent fatale pour les malades avec une forme vasculaire. Dans les autres cas, elle conduit par ignorance à l’internement forcé de malades qui souffrent pourtant réellement d’une maladie. On ne la voit simplement pas sur les radios ou IRM… Au meilleur des cas, il faudra attendre environ 30 ans pour un diagnostic et quelques anti-douleurs prescrits. Trop tard pour soutenir le corps et l’empêcher de s’écrouler. Comment ces cas extrêmes peuvent encore exister en France et en Europe ? J’y pense chaque jour.
– Que pensez-vous du fait qu’il existe encore aujourd’hui des concours spécifiques aux personnes handicapées ? Cela n’empêche-t-il pas, quelque part, leur intégration dans la société ?
Je suis contre ces concours spécifiques. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai décidé de forcer les portes des concours « ordinaires » en tant que candidate avec un handicap lourd. Comment peut-on intégrer réellement une personne en l’asseyant à une autre table que la vôtre ? C’est aussi simple que cela.
Si le regard est encore aussi dur sur le handicap, si les discriminations sont encore monnaie courante, c’est bien parce que nous ne sommes pas assez représentés, pas assez présents, pour casser tous les stéréotypes qui nous sont liés. L’ignorance est notre seul ennemi. Lorsque nous considérons l’autre comme semblable, il n’y a plus de discrimination possible.
– Est-ce que votre handicap a changé quelque chose dans votre vie personnelle et votre façon de pratiquer vos activités professionnelles ?
Le handicap n’a jamais diminué mes capacités professionnelles. Bien au contraire. Cela m’a appris à être combative, à me surpasser pour chaque mission et à organiser mon temps de manière rigoureuse. Mais les stéréotypes, les discriminations, les attaques physiques et morales que l’on me faisait et que l’on me fait subir du fait de mon handicap m’ont pris mon ancien métier (maitre en droit), 7 années de droit réussies avec prix lauréat, 2 ans de ma vie (effet burn out harcèlement), une part de ma santé physique et psychique (dose de médicaments triplés après mon licenciement illégal).
Ma vie personnelle, elle était tout aussi chaotique : » Tu n’es pas une vraie femme, tu ne peux qu’être un poids pour les autres », « Tu ne peux pas avoir d’enfants avec un ADN sain, je ne peux plus t’aimer », »Reste à la maison, c’est ta place ». C’est au moment où j’ai décidé de prendre ma vie en main, de n’écouter que moi et quelques entourages positifs que j’ai pu contrer ces expériences négatives. Aujourd’hui j’ai rencontré l’Amour. Un homme bon, attentionné et sincère. J’ai pu refaire une reconversion et je m’épanouie dans cette nouvelle quête de savoir et d’Art. Le Futur m’appartient maintenant. A moi uniquement.
Quant aux comportements négatifs, j’aime à dire ceci : » Le handicap que tu portes n’est pas un frein dans les relations. Il révèle justement immédiatement la bonté ou l’égoïsme des gens. Tu perdras moins de temps. Vois-le comme cela. Continue ton chemin ».
– Quel est votre avis sur la place et l’image des femmes en situation de handicap dans la société aujourd’hui ? et dans le milieu de la beauté et de la mode ?
Je suis déçue du peu de représentation que nous avons. Sincèrement, je n’ai pas l’impression d’être représentée et considérée comme une femme. Où voit-on des publicités intégrant la beauté des femmes avec un handicap ? A-t-on déjà vu vanter les mérites d’une crème de beauté, d’un vêtement, de cheveux parfaits sur une personne handicapée ? La réponse est simple pour moi.
Le marketing et la communication sont des pouvoirs à part entière aujourd’hui comme l’est la Politique, la Justice etc. Mon propos peut choquer mais c’est l’avis que je porte dans cette société ultra-consommatrice.
– Qu’est ce qu’il faudrait améliorer selon vous ?
Je me pose une simple question, pourquoi ne pas user de ce nouveau pouvoir pour sensibiliser le public à adopter des comportements plus humains, plus positifs avec les autres personnes qui les entourent ? Pourquoi ne pas en faire le bien ? Ne serait-ce pas la réponse au manque de budget de nos recherches médicales ? La communication. La reconnaissance. L’appel à la conscience collective. J’y crois sincèrement et j’espère que j’y aiderai un jour.
– Quelles sont les femmes qui vous inspire au quotidien ?
Ma mère serait la 1ère. Touchée aussi durement par la maladie dans sa vingtaine, elle a passé de nombreuses années en fauteuil roulant tout en étant abusée et violentée par son mari. Elle aurait pu mourir de nombreuses fois, j’en ai conscience maintenant. Elle ne devait pas remarcher. Aujourd’hui elle marche. Tout simplement. Elle a combattu son diagnostic. Elle m’a tout simplement inspiré la même combativité quand est venu le temps du mien. Marche ou crève. C’est un peu « mon Mantra ».
Dans le mannequinat, j’admire le professionnalisme et le détachement naturel de Cara Delevingne. Son engagement aussi contre le braconnage ou le harcèlement sexuel dans le métier (gros sujet aussi !).
Dans les Miss, ce serait notre actuel Miss France, Vaimalama Chaves et sa réponse digne lorsqu’elle était harcelée à cause de sa prise de poids. Sa décision aussi de ne pas concourir aux concours internationaux. J’y ai vu une femme forte, fière d’elle-même et qui incitait les jeunes femmes à suivre leur instinct, leurs passions, peu importe les dires des autres. J’aimerai voir plus de Miss de cette trempe 🙂
– Quels sont vos projets à venir ?
Finir ma reconversion professionnelle et, je l’espère, ouvrir ma société de graphisme et de motion design ; Continuer ma vie dans la sérénité et en bonne santé autant que possible ; Continuer aussi longtemps que possible le mannequinat ; Espérer que mon engagement ne me ferme pas que des portes, mais en ouvre aussi.
J’aimerai un jour que l’on me demande de défiler avec ma canne, avec mon corset, dans une tenue des plus glamour. Que ce soit vraiment moi tout entière finalement sur ces podiums…
Mon rêve serait de le faire pour Jean-Paul Gautier. Il serait le seul à oser le faire ;). Jean-Paul Gautier, je vous attends ! Mais pas trop longtemps s’il vous plait !
Je vieillie déjà ! (rires).
Enfin j’aimerais trouver assez des sponsors, de dons pour pouvoir représenter la France à mon 1er et dernier concours international : Face Of Beauty International aux Philippines ce novembre. Ce sera mon dernier acte comme Miss, et j’espère arriver à mon but final :). Contactez-moi si vous souhaitez en savoir plus 🙂 :
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