« Ça n’arrive qu’aux autres », voilà un refrain que l’on a tous prononcé ou pensé dans de nombreuses circonstances…ce n’est pas Daphnée qui dira le contraire. Blogueuse, auteure, conférencière, Daphnée raconte sur son blog et dans son livre « Ça n’arrive qu’aux autres, enfin presque », son combat pour conserver son indépendance au quotidien et son optimisme.
C’est lors de notre voyage commun en Catalogne en Mars dernier, au cours de six jours d’activités intenses que nous avons eu l’occasion de faire connaissance au delà du virtuel et d’échanger sur notre vision, nos combats, nos actions et nos souhaits réciproques.
Bonjour Daphnée, est-ce que tu peux te présenter ?
Salut lecteur ! Ah la présentation dans laquelle on ne sait jamais quoi mettre, comment résumer qui que ce soit en quelques lignes ? Je suis une enfant des 90’s aujourd’hui adulte. J’ai un métier étrange, du sur-mesure qui en regroupe plusieurs puisque je suis à la fois rédactrice web, conférencière et auteure. Je m’émerveille d’un rien, je préfère croire au meilleur plutôt qu’au pire et j’aime autant la solitude que la compagnie, la vadrouille que le chez-moi. Je suis en fauteuil depuis 2013, après avoir glissé sur une plaque de verglas avec ma voiture, et je vis en totale autonomie quelque part entre les fromages et le vin du Centre de la France.
Tu as écrit et publié « Ça n’arrive qu’aux autres (enfin presque) » qui est un témoignage de ton combat suite à ton handicap survenu brutalement et de ta reconstruction. Comment t’es venu l’envie d’écrire ce livre et qu’est ce qui t’intéresse à travers l’écriture ?
L’écriture a toujours fait partie de moi. Du moins depuis que je sais écrire. Elle est comme un jeu dans lequel je jongle avec les mots de sorte à donner forme aux images et aux idées que j’ai dans la tête. N’est-ce pas merveilleux ce que la langue française nous offre comme possibilités infinies ?
En ce qui concerne mon livre, elle a eu également un rôle libérateur : écrire à propos de mon accident m’a permis de recréer mon parcours dans ma mémoire, l’affronter, et l’assimiler pour enfin être en paix avec ce bouleversement de vie. J’ai très vite su que je devais le faire, c’était comme une évidence. Il fallait juste que l’histoire se termine dans ma tête pour qu’elle puisse naître sur papier.
Pourquoi ce titre, « Ça n’arrive qu’aux autres (enfin presque) », qui fait référence à ce sentiment d’invincibilité que l’on peut souvent avoir face à certaines situations dans la vie ?
Cette phrase est si souvent entendue, et encore plus pensée, même s’il arrive qu’on en éprouve de la culpabilité. Regarder les choses les plus graves et s’en trouver détacher voire peu concerné parce qu’on part du principe que ça ne peut nous arriver. Pas à nous. Et pourtant. Je suis le contre-exemple type. Ma vie était ordinaire et joliment ordonnée, une étudiante lambda qui faisait son petit chemin tranquillement. Ce soir-là ça n’est ni un excès de vitesse, ni le téléphone au volant ni une quelconque drogue ou grammage d’alcool qui m’a fait louper ce virage. C’est la pluie, le gel, la météo. C’est tout. Alors est-ce que réellement ça ne peut arriver qu’aux autres ? Ne serait-ce pas plutôt l’inverse : ça peut arriver à chacun ?
Est-ce que ton handicap a changé quelque chose dans ta vie personnelle, professionnelle, sociale et ta relation aux autres ?
Le handicap change tout. Nuancer serait un brin hypocrite pour ma part. Je ne suis en aucun cas là où j’avais imaginé que je serai à cet âge puisque j’ai construit mon activité professionnelle autour du handicap. Quant à la relation aux autres, elle a été impactée par la relation à moi-même, qui est difficile à définir, à reconstruire. Et puis fauteuil ou pas fauteuil, handicap ou pas handicap, en sept ans de vie tout fini toujours par changer : parfois en moins bien, parfois en mieux. C’est là tout l’intérêt de se lever le matin je crois.
Alors que l’idée de normalité construite par la société n’est que le résultat de stéréotypes normés, les injonctions par rapport au corps sont encore très présentes. Quel est ton propre rapport avec ton corps, ta féminité ?
J’ai écrit plusieurs articles sur le sujet justement parce que c’est une réflexion que j’ai souvent eue et qui a donc évolué au fil des années. Avant mon accident, je n’étais pas différente de n’importe quelle nana de vingt ans. Je me sentais plutôt bien dans ma peau, pour autant je cultivais quelques complexes absurdes bien ancrés en moi. Aujourd’hui j’ai appris à m’aimer pour ce que je suis, avec mes qualités comme avec mes défauts, avec mes imperfections d’Être Humain. Côté sexualité, ça s’est passé avant comme après le handicap de la même façon : en découvrant au fur et à mesure de mes expériences. Le moins évident peut-être est davantage la réaction de l’Autre si sentiments il y a : son regard a plus de poids, l’enjeu que l’on donne à son opinion également. Être ok avec ce que l’on est, d’accord. Être ok avec ce que l’on est à travers le regard d’une personne qui compte, c’est une autre étape. Le handicap rajoute un sacré lot de vulnérabilités en plus de celles que l’on a déjà.
Dans ce livre, tu parles beaucoup de tes proches, du soutien de tes parents mis en place pour transmettre tes nouvelles, des témoignages que tu as reçu à la suite de ton accident et des nouvelles rencontres que tu as fait en centre de rééducation notamment. C’est important pour toi ce lien entre les gens pour se reconstruire, pour se sentir soutenu ?
L’humain est un animal grégaire de nature. Il est fait pour être en relation avec d’autres membres de son espèce ce qui fait de lui un être profondément sociable. Au XIIIè siècle, l’empereur Frédéric II avait fait une expérience avec des bébés et avait constaté que sans communication aucune, ils dépérissaient jusqu’à en mourir. Personne ne peut dire qu’il s’est construit tout seul, ni qu’il a affronté l’adversité seul, réellement. Maintenant les besoins sociaux diffèrent d’une personne à l’autre c’est certain. En ce qui me concerne je le dis sans la moindre réserve : privée du soutien des personnes que j’aime/qui m’aiment, je ne serai certainement pas allée aussi loin.
Tu as également créé un blog « 1 parenthèse 2 Vies », peux-tu nous en parler ?
1parenthese2vies.com est né du constat qu’avant d’être en fauteuil, je ne m’étais jamais doutée qu’à côté de ce que je connaissais, un monde entier existait : ce monde du handicap si large et si riche d’apprentissages. Alors j’ai voulu commencer à en parler, pour partager, pour expliquer. D’abord à mes proches, puis à ceux qui tomberaient par hasard sur mes écrits. C’est devenu une habitude hebdomadaire, un moyen de sortir de rééducation, faire quelque chose d’utile, donner un sens à ce qui m’était arrivé. Deux ans après sa création, il avait pris plus d’ampleur que je ne l’aurais jamais soupçonné, c’est là que j’ai décidé d’entièrement le remanier pour en faire ce qu’il est aujourd’hui, avec son logo et sa propre charte graphique.
Quelles sont tes autres activités ? quels messages souhaites-tu véhiculer à travers celles-ci ?
Je ne vais pas le cacher, le Covid a chamboulé pas mal de choses. Les conférences, la partie voyage/touristique du blog et la promo du livre tournent au ralenti depuis quelques mois et ça m’attriste un peu. Cependant ça me donne l’occasion de penser à de nouvelles choses, de nouvelles envies, de nouveaux projets. Développer ma casquette de rédactrice web également, et m’engager davantage dans des associations telles que Dare Women ou Comme les Autres. Mon message est toujours le même : la vie est pleine de surprises, il suffit de vouloir les regarder ! Quelles que soient les épreuves qui nous sont données de vivre, il y a toujours de belles opportunités auxquelles s’accrocher. Sourire, profiter, croire, rencontrer, oser, aimer.
Comment as-tu vécu la période de confinement ? Est-ce que certaines choses ont changé pour toi depuis cette période ?
Je faisais mes courses en ligne et j’allais chercher mon sac prêt au magasin le lendemain, je crois que c’est la seule différence qui s’est imposée à moi pour le confinement. Comme je ne suis dépendante d’aucune tierce personne, j’ai vécu mon confinement comme tout un chacun, avec des hauts et des bas. En revanche, moi qui cours toujours dans tous les sens et qui vais par monts et par vaux, j’ai appris à apprécier d’être chez moi, au calme. C’est ce qui a permis de me recentrer sur moi-même et faire plus ample connaissance avec la personne que je suis devenue. Du coup lorsque l’on a été déconfinés, ce qui a été le plus désagréable à gérer pour moi est le bruit ! Je m’étais habituée au silence ou aux sons que je choisi : retourner dans le vacarme des rues m’a demandé un (court) temps de réadaptation !
Quel est ton avis sur la place des femmes handicapées dans la société aujourd’hui ? Selon toi, quelles sont les choses à améliorer pour une prise de conscience collective au sujet du handicap ?
Déjà on ne voit, à la base, que trop peu de personnes « handis ». Maintenant il est vrai que les quelques-uns dont on entend (enfin !) parler un peu sont majoritairement des hommes. Il y a pourtant tellement de femmes extraordinaires dans le monde du handicap comme dans tous les autres ! Je pense à Dorine Bourneton, à Caroline Le Flour, à Marie-Amélie Le Fur, à Hayette Djennane et tant d’autres. Il n’y a pas de secret : la communication. Arrêtons de créer des tabous là où il ne devrait pas y en avoir. Cessons les préjugés et ne nous donnons pas de fausses excuses. Une femme peut être belle, handicap ou non. Une femme peut être intelligente, handicap ou non. Une femme peut être sportive, handicap ou non. Et toutes les femmes sont extraordinaires.