Sensibiliser le secteur de l’habillement à ces problématiques et accompagner les personnes handicapées dans leurs choix vestimentaires, telle est la mission de l’association havraise Cover Dressing à travers la plateforme collaborative Bien à Porter.Le vêtement reflète souvent une personnalité, un style, une humeur et il est parfois compliqué de trouver des vêtements qui nous plaisent et nous conviennent. Pour les personnes handicapées ou atteinte d’une maladie,
s’habiller peut vite devenir le parcours du combattant. En dehors de l’accessibilité des magasins, la question de l’ergonomie et de la praticité des vêtements est essentielle et encore trop peu considérée par le secteur du prêt-à-porter. Rencontre avec Muriel Robine, présidente de l’association Cover Dressing qui œuvre pour plus d’inclusion dans la mode .
Bonjour Muriel, pour commencer, pouvez-vous nous présenter l’Association Cover Dressing ?
COVER signifie Collectif autour du Vêtement Ergonomique. L’association existe depuis 6 ans et est installée au Havre. L’objet de l’asso est de faciliter l’habillement, et donc aussi le shopping des personnes malades, âgées ou en situation de handicap. Nous repérons les vêtements les plus ergonomiques et fonctionnels dans les rayons des boutiques en fonction de différents besoins spécifiques liés à des limitations fonctionnelles, au port d’une prothèse, au gonflement d’un membre, etc… Nous militons pour que les personnes concernées puissent s’habiller dans les mêmes boutiques, à la même mode et aux mêmes prix que tout le monde.
L’association à créer « Bien à Porter », la première plateforme collaborative qui facilite le shopping des personnes handicapées. Comment est née cette idée ? vient-elle d’un constat personnel ?
Il y a quelques années, j’ai rencontré une maman de 2 enfants autistes, qui était très heureuse d’avoir trouvé chez Décathlon un T-Shirt sans coutures. Elle avait tellement de difficultés à habiller ses garçons hyper-sensibles aux coutures et étiquettes ! Du coup, elle avait acheté ce T-Shirt en 10 exemplaires ! Là, j’ai pensé qu’il manquait un site ou les personnes pourraient mettre en commun leurs trouvailles de vêtements adaptés à leur problématique de santé : pour simplifier le shopping, mais aussi pour que chacun puisse plus facilement faire varier ses tenues. Et aussi parce qu’il n’y a pas mieux que l’échange de conseils et recommandations entre personnes qui partagent un même besoin.
Concrètement, comment cette plateforme fonctionne et où trouvez-vous les vêtements faciles à porter qui seront répertoriés et décrits sur la plateforme ? Est-ce uniquement les membres de Cover Dressing qui recherchent et répertorient les vêtements sur le site internet de Bien à Porter ?
Pour le moment, ce sont effectivement essentiellement les membres de notre équipe qui partagent les vêtements proposés : notre ergothérapeute et son équipe labo recherchent dans les magasins des vêtements qui correspondent à nos cahiers des charges, selon des profils étudiés. Ils partagent leurs recommandations dans la partie « lab » du site. Nous avons aussi quelques bénévoles qui aiment partager leurs trouvailles, et ont envie d’en faire profiter d’autres personnes concernées par leur maladie ou leur handicap. Elles les partagent dans la partie « communauté » du site, qui est une sorte de réseau social. Cette partie est encore peu dynamique : nous avons besoin de créer une véritable communauté active sur cette partie du site, mais comme nous sommes une petite association avec très peu de moyens (nous sommes tous bénévoles), c’est difficile de nous faire connaitre et d’amener les gens à être actifs, à partager leur shopping. Pourtant, il y a un vrai besoin des personnes malades ou en situation de handicap sur l’habillement. Le site n’est en ligne que depuis décembre dernier, il est encore peu connu. Nous recherchons des ambassadeurs pour nous aider à véritablement lancer la dynamique. Des contributions de blogueurs ou blogueuses qui y présenteraient leurs derniers achats d’habillement, ce serait top !
Quels sont les critères ergonomiques et fonctionnels définis par Cover Dressing pour qu’un vêtement soit « facile à porter » ?
Tout dépend du profil de la personne. Par exemple, pour une personne hémiplégique, on va observer entre autres la largeur de l’emmanchure, la souplesse de la matière, l’épaisseur des coutures sur certaines zones comme l’aisselle, le système de fermeture … ou encore la facilité de préhension par la ceinture d’un vêtement du bas (élastique large, passants ou autre). De manière générale, un petit haut au col large ou élastique, aux emmanchures et manches qui ne serre pas, avec des coutures fines et plates, une matière douce et souple un peu élastique, des boutons ou une tirette de fermeture faciles à attraper et manipuler, ça convient au plus grand nombre. Mais il y a beaucoup de critères dont il faut tenir compte ! Un vêtement est un objet complexe, et la maladie ou le handicap présente aussi pas mal de complexités : à nous de trouver comment on fait « matcher » un vêtement avec une problématique de santé ou de handicap.
Au fil des recherches, avez-vous identifiés des marques qui font des efforts pour l’inclusion de tous dans le Prêt à porter ? De manière générale, observez-vous une réelle volonté, une évolution du monde du prêt à porter et de la mode vers plus de facilité et d’accessibilité ?
On remarque beaucoup d’innovations dans les matières : plus souples, respirante, douces, …. On est loin des sous-pulls des années 70 pleins d’électricité statique ! Cependant, pas mal de vêtements sont encore critiquables dans leur conception. Par exemple, les diminutions d’amplitudes articulaires liées au vieillissement sont peu prises en compte au moment de la conception des vêtements. Pourtant, les séniors d’aujourd’hui s’habillent dans les mêmes boutiques que les plus jeunes. Mon père de 75 ans aime s’habiller chez Jules, mais c’est parfois très compliqué. Les marques de slow-fashion sont très attentives aux notions de qualité et de confort de leurs créations, il y a donc plus de chance que leurs vêtements répondent au plus grand nombre. On a fait essayer récemment les vêtements de la marque Thelma Rose par des femmes en fauteuil, et ça fonctionnait très bien pour l’essentiel de la collection. Généralement, les marques les plus intéressées par ce que l’on fait, ce sont plutôt celles du « milieu de gamme » : elles accordent du crédit aux valeurs que nous portons, même s’il y a encore du travail à faire pour les impliquer véritablement. Peut-être que travailler avec une petite association du Havre demande réflexion 😉 ! La direction marketing d’une marque que je ne citerai pas nous a proposé de la recontacter le jour où nous serons plus « grands » et à Paris, ça en dit long ! Les marques plus « bas de gamme » qui nous ont contactés parlaient essentiellement chiffres et ROI (retour sur investissement), et cherchaient juste à s’accaparer notre savoir-faire sans réellement collaborer. J’espère que le nouveau contexte qui s’impose à nous va les amener à changer de paradigme.
Travaillez-vous en lien direct avec certaines marques pour les conseiller, les sensibiliser aux difficultés rencontrées par les personnes handicapées pour s’habiller ? Avez-vous des exemples d’actions ?
Nous travaillons depuis 18 mois avec la marque de lingerie DARJEELING, du groupe Chantelle, et la collaboration est vraiment formidable : la marque soumet régulièrement ses nouveautés et prototypes à notre laboratoire et à notre club d’utilisatrices, afin qu’on leur fasse des retours sur l’ergonomie et le confort de ces pièces. Les stylistes sont très à l’écoute et prennent ces retours en compte dans les collections suivantes. Ce qui nous plait particulièrement dans cette collaboration, c’est la volonté sincère de la marque à répondre le mieux possible à toutes les femmes. Nous avons commencé, grâce à Darjeeling, un travail sur la lingerie de femmes avec un TSA au sein d’un établissement de la Fondation John Bost : le MAS Magdala à Epouville, près du Havre. Les équipes créa de Darjeeling sélectionnent des pièces de lingerie et des maillots de bain que l’on teste avec ces femmes, et qui leur sont offertes quand elles conviennent. La directrice de la marque, Sandrine Béthencourt, s’implique très fortement dans cette action. Il est important que ces femmes soient aussi prises en compte dans leur féminité, et qu’on la valorise, qu’on en prenne soin. Elles y prennent d’ailleurs énormément de plaisir, et leurs éducatrices et nous aussi.
Pensez-vous qu’il faille identifier les vêtements « faciles à porter » de manière plus évidente dans les rayons des enseignes ou sur les sites de e-commerce ?
Bien sûr ! C’est évident : plusieurs millions de personnes en France ont besoin d’informations plus « techniques » sur les vêtements proposés. Rien que l’information sur la largeur des manches : beaucoup de femmes me disent qu’elles galèrent pour trouver des hauts dans lesquelles leurs bras passent bien. Puis les équipes de vente sont bien formées au conseil en image, mais pas à l’ergonomie ni à la connaissance des besoins spécifiques que peut avoir la clientèle en situation de handicap ou avec une pathologie. Il y a à la fois un travail de formation à réaliser, mais aussi une démarche d’information « augmentée » sur l’étiquette ou le descriptif du vêtement à adopter. Notre équipe travaille d’ailleurs sur ce sujet : nous recherchons actuellement des financements pour finaliser une application mobile qui délivrera ce type d’information. Nous en avons développé une première partie grâce au soutien financier de Malakoff-Médéric. Nous avons hâte de vous la présenter.
La plateforme dispose également d’un réseau social ou chaque membre peut échanger ces bons plans, ces retours d’expériences selon des problématiques communes. Quel est la finalité de ce réseau social dédié ?
Nous partons du principe que chacun est expert de son propre habillage, mais peut enrichir son expertise grâce à l’expérience des autres. Un lieu d’échanges sur le sujet est donc très utile et intéressant. Par ailleurs, bien connaitre les impacts de ses contraintes physiques ou fonctionnelles sur son habillement est une chose, mais trouver les bonnes solutions d’habillement disponibles dans le commerce en est une autre ! La fonction réseau social de bienaporter.com est justement faite pour que chacun signale aux autres ses propres trouvailles de vêtements adaptés à son handicap ou sa maladie. Parce que le shopping reste compliqué pour les personnes concernées : l’accessibilité, les déplacements, les essayages sont des contraintes qui peuvent transformer parfois le shopping en parcours du combattant. Alors si les retours d’expérience des uns peuvent faciliter le shopping des autres …. Nous espérons donc réussir à mobiliser une véritable communauté active autour de ce réseau, qui se veut collaboratif.
Ce réseau social est aussi un outil stratégique pour développer notre impact : tout d’abord parce qu’il va permettre aux professionnels du prêt-à-porter d’accéder à des retours d’expérience sur leurs produits, et donc les amener à mieux comprendre les critères d’ergonomie. Ensuite parce qu’il va montrer aux marques que la clientèle en situation de handicap ou atteinte de maladie compte ! C’est une clientèle importante, de plusieurs millions de personnes, et qui est encore tellement oubliée par l’industrie du prêt-à-porter.
Est-ce que des personnes vous sollicitent pour des demandes de recherches particulières car ils ne trouvent pas le vêtement dans les magasins ou sur votre plateforme ?
Oui, nous recevons régulièrement des demandes très spécifiques. Nous ne savons d’ailleurs pas toujours y répondre et parfois, le recours à la mode spécialisée s’impose. Mais en général, on trouve ! Récemment, nous avons recherché des pantalons à fermeture à crochet plutôt que bouton ou pression pour une personne avec la maladie de Charcot. Nous avons aussi des demandes de personnes avec un handicap et un besoin de grande taille, difficile à trouver dans les commerces. Bien souvent, les personnes qui viennent nous rencontrer au Havre ont un peu baissé les bras et se sont rabattues sur le jogging ou le legging facile à enfiler, car leur shopping était devenu trop laborieux, sans repères. Elles attendent de nous qu’on les accompagne dans la recherche de vêtements plus mode, plus habillés. C’est une partie très gratifiante de notre mission : on voit des personnes se métamorphoser dès lors qu’elles se trouvent à nouveau à leur goût dans le miroir !
Vous travaillez également avec des professionnels de santé. Quelles sont les actions réalisées en lien avec eux ?
Nous travaillons principalement avec la Clinique du Petit Colmoulins, un centre de rééducation fonctionnelle près du Havre : nous faisons des essayages de vêtements avec les patients qui le souhaitent pour approfondir notre expertise. Puis l’ergothérapeute de notre équipe, Jessy, a développé un bilan ergothérapique axé sur l’habillage, dont la finalité est d’utiliser le vêtement comme support pour évaluer les capacités fonctionnelles d’un patient. Il s’agit aussi de donner au patient des repères sur son futur habillage : quels types de poches, de boutonnage ou fermeture, de coupe, d’accessoirisation choisir pour maximiser son confort et son autonomie ? Ce vêtement sera aussi un bon outil de rééducation. Le bilan complet, avec son logiciel conçu par notre ingénieur process Nicolas, est actuellement en phase d’expérimentation à la clinique. C’est notre partenaire Darjeeling qui fabrique les vêtements-supports. Je crains cependant qu’avec la crise que nous traversons, le lancement de ce bilan prenne plus de temps que prévu. Nous allons sans doute devoir attendre quelques mois pour finaliser l’expérimentation.
Quels messages souhaitez-vous véhiculer à travers l’association Cover Dressing et le concept Bien à Porter ?
Le vêtement est assimilé à la mode, et à ce titre, il est souvent considéré comme futile et secondaire. De ce fait, notre action est souvent déconsidérée par nos interlocuteurs : il y a déjà tellement à faire avec l’accessibilité, la scolarisation, le manque de places en établissements, le soin …. que militer pour une mode « inclusive » peut sembler risible.
Personnellement, ces arguments me mettent hors de moi, car je pense qu’il est indispensable de lutter en même temps sur tous les fronts et surtout, de ne pas disqualifier une cause ! L’habillement, c’est une interface essentielle à l’épanouissement de chacun, à mi-chemin entre le social et l’intime. C’est ce qui permet de se sentir bien, de choisir l’image que l’on donne de soi, d’être perçu selon sa personnalité … S’habiller selon son style et « l’air du temps », c’est aussi une façon d’affirmer qu’on appartient bien au même monde, à la même société et à la même culture que les autres : un message important quand on tend à être qualifié de « différent » ! Et puis trop de personnes s’auto-excluent de pans entiers de leur vie sociale parce qu’elles jugent que leur apparence, leur look n’est pas conforme aux attentes.
Je pense que le secteur professionnel de la mode a un vrai rôle à jouer et une vraie responsabilité à assumer pour que notre société soit plus ouverte à tous, puisque l’apparence compte tant ! On dit que la mode fait les tendances ? Alors pesons de tout notre poids pour qu’elle les fasse plus généreuses, plus inclusives, plus humaines, plus douces, moins discriminantes … Il faut que nous soyons nombreux à nous mobiliser si on veut que ce message soit entendu, et que nous parlions tous d’une même voix. C’est pour cela que nous avons créé l’association.
Quel est votre avis sur de la place des femmes en situation de handicap dans la mode et le domaine de l’habillement aujourd’hui ?
Mon avis, c’est que les femmes en situation de handicap ne sont pas du tout prises en considération par l’industrie de la mode. Qu’une femme en situation de handicap soit montrée comme le « clou du spectacle » d’un défilé de mode est loin d’être satisfaisant. Les entreprises de prêt-à-porter sont encore très mal à l’aise avec le sujet. Ce qui me donne espoir, c’est l’univers de la lingerie féminine : si vous comparez, par exemple, la dernière affiche du salon de la lingerie avec celle du salon précédent, vous verrez comme les mentalités ont changé dans ce secteur. Puis ce n’est pas un hasard si notre première marque partenaire est une marque de lingerie : il me semble évident que c’est de là qu’une nouvelle approche du corps va s’imposer.